L’ascension de Sadio Mané racontée par ceux qui l’ont côtoyé
Devenu à Liverpool un des meilleurs joueurs de la planète, Sadio Mané a franchi les paliers au fil d’une carrière bien pensée. Du Sénégal à la Premier League, l’attaquant de vingt-sept ans a toujours été guidé par un caractère singulier. Témoignages.
Au début des années 2010, certaines histoires de bus pouvaient parfois prendre des proportions démentielles. Elles n’ont pourtant pas toutes eu besoin de faire la Une pour changer un destin. En ce 30 août 2012, Sadio Mané, vingt ans, se préparait à rallier Quevilly pour disputer la 5e journée de National avec le FC Metz. Il ne verra jamais la petite bourgade normande, évacué du bus de l’équipe lorraine par son agent à quelques heures de la fermeture du mercato. «Il n’était pas prêt du tout, c’était encore un bébé et il a grandi en quelques heures, se remémore son ancien formateur Olivier Perrin, que Mané considère comme un père.
«Tout s’est fait très vite parce qu’on ne pensait jamais que Salzbourg allait mettre autant (4 millions d’euros, ndlr). C’est un des seuls moments de sa carrière où il n’a pas eu le temps de décider. Il a quitté Metz comme ça, mais il n’y pouvait rien, on l’a mis dans l’avion.» Direction l’Autriche, donc, après avoir laissé couler quelques larmes au moment de (ne pas pouvoir) dire au revoir au club qui l’avait lancé dans le monde professionnel sept mois plus tôt.
À l’été 2014, à nouveau « conseillé » en ce sens pour boucler un départ avant la clôture du marché, Mané fera un peu moins de sentiments pour inviter ses dirigeants à accepter l’offre de Southampton (23 millions d’euros). Entraînement snobé, barrage retour de Ligue des champions à Malmö zappé, élimination à la clé (0-3), image brouillée et excuses maladroites envoyées à la presse locale. Il serait cruel et inexact, pourtant, de chercher à résumer Sadio Mané à travers ces deux épisodes tourmentés l’ayant, finalement, propulsé vers la Premier League et ses projecteurs. «C’est même tout l’inverse», confirme Perrin. Mais l’ailier sénégalais n’a jamais eu peur d’aller très loin afin de poursuivre son rêve, capable notamment de fuguer de son village à treize ans pour bien faire comprendre à des parents réticents que le football n’était pas un simple hobby.
Bouby : «Il ne fallait pas se mettre en travers de son chemin»
«C’est un garçon bien élevé, très attachant, mais il ne fallait pas se mettre en travers de son chemin, parce qu’il n’avait pas le temps, résume son ancien partenaire à Metz, Pierre Bouby. On sentait qu’il n’était pas là pour rigoler. Un jour, je m’étais chauffé avec lui pendant un entraînement parce qu’il ne défendait pas. J’avais vingt-huit ans, lui dix-neuf, mais il me répondait ! Il a une force de caractère très prononcée, et c’est ce qui fait sa force aussi. Où qu’il soit, il s’affirme, il montre qu’il est là.» Sans vraiment chercher à se faire voir, pourtant.
Au centre de formation des Grenats, il n’était pas rare de voir Mané s’imposer, en solo et sans en avertir personne, des séances (très) matinales de course à pied, pendant que ses congénères dormaient encore à poings fermés. À cette époque, son goût pour le labeur et la discrétion aurait néanmoins pu lui coûter cher. En difficulté lors de ses premières semaines à Metz, il avait préféré cacher à tout le monde les fortes douleurs aux adducteurs qui le handicapaient. «J’ai mis deux mois et demi à m’en apercevoir parce qu’il ne disait rien, lâche Olivier Perrin. Il avait une pubalgie d’enfer, donc on l’a opéré et ça allait beaucoup mieux par la suite…» Au point de passer des U19 à l’équipe réserve, puis celle des pros, en l’espace de quelques semaines.
Sept ans plus tard, son naturel discret l’accompagne encore, lui qui quitte souvent le centre d’entraînement des Reds sans un mot pour se concentrer sur les trois piliers de sa vie hors football : la nutrition, la foi et le sommeil. Et c’est toujours sans rechercher la lumière -surtout pas- qu’il oeuvre pour le développement de son village d’origine, Bambali, au sud-ouest du pays. Entre autres projets menés à bien, la réfection d’une mosquée ou la construction d’un lycée. Car c’est autant pour les siens que pour lui-même qu’il s’était fait la promesse de réussir. «Il a une force intérieure qui vient de lui, mais aussi de son milieu et de son parcours, détaille Olivier Perrin. Chez les Sénégalais, la réussite est aussi liée à la famille. Pour elle, tu dois tout faire, et ça dépasse ce qu’on peut comprendre en Europe. Ce sont des vecteurs de motivation qu’on n’a pas.» Et qu’importe si cela implique de passer, parfois, pour un jeune homme solitaire.
«C’est vrai qu’au départ il était très réservé, confirme Andreas Ulmer, capitaine du Red Bull Salzbourg et coéquipier de Mané entre 2012 et 2014. Mais il a imposé sa présence au fur et à mesure sur le terrain, pour acquérir au final un vrai statut. Il avait beau être plutôt discret et silencieux, c’était aussi un garçon ouvert et positif.» Ceux qui ont accompagné la carrière de l’actuel capitaine de la sélection sénégalaise le savent : c’est dans la ville de Mozart que Sadio Mané a étoffé sa partition. Accompagné par un assistant personnel détaché par le club pour favoriser son intégration et son adaptation, le virevoltant soliste est peu à peu devenu un autre joueur, pour totaliser 45 buts et 32 passes décisives en 87 apparitions. «Et tout ce qu’on peut voir à Liverpool aujourd’hui, l’intelligence de ses déplacements, la grinta, les efforts défensifs… Il a vraiment commencé à progresser là-dessus à Salzbourg», complète Pierre Bouby.
«Sur le terrain, il s’est vraiment développé de manière conséquente, confirme Andreas Ulmer. Il est arrivé à une époque où nous étions en train de changer notre style de jeu, en imposant un pressing intense, et il s’est fondu là-dedans à merveille avec son dynamisme, ses qualités physiques et sa finesse technique.» L’intéressé ne disait pas le contraire dans un entretien à FF, en janvier 2017 : «Là-bas, j’ai appris le vrai foot, j’ai commencé à côtoyer le haut niveau avec un entraîneur (Roger Schmidt) qui m’a fait confiance et beaucoup aidé.» Et le gamin réticent à travailler ses gammes s’est mué en élève assidu. «Il a compris qu’il fallait répéter des choses simples pour marquer plus de buts, se félicite Olivier Perrin. Ça vaut aussi pour le replacement défensif : il a ajouté des choses petit à petit, sans perdre son esprit créatif.»
Car la base de son jeu est bien là, et l’a toujours été. Sadio Mané, biberonné aux exploits d’El-Hadji Diouf et de Ronaldinho, a adopté l’extravagance de ses idoles sur le terrain, tout en se gardant bien de copier leur mode de vie et/ou d’expression en dehors. «Sa faculté à éliminer est toujours restée, quel que soit le niveau, résume Pierre Bouby. Il a une façon de gommer les gens qui est impressionnante. Quand il a débuté avec nous, c’était un diamant brut, capable de fulgurances dingues, mais sans être vraiment au-dessus du lot. Et puis il est rapidement devenu indispensable parce qu’à chaque fois qu’il jouait, même s’il manquait parfois quelque chose, il créait des trucs ! Tu sentais qu’avec lui, tout pouvait se passer, à tout moment. Sa faculté à perforer, à éliminer sur dix, vingt mètres, c’était affolant.»
Un ultra-pro qui fait l’unanimité
Ça l’est toujours. Rafinha et Manuel Neuer, étourdis par la course et les dribbles de Mané lors du huitième de finale retour de Ligue des champions entre le Bayern Munich et Liverpool, en mars dernier (1-3), pourraient difficilement dire le contraire. Sept ans ont passé, tout de même, et l’ancien Messin ne se démarque plus dans les tréfonds de la Ligue 2 mais au coeur de la plus grande compétition de clubs, une Ligue des champions dans laquelle il a inscrit quatorze buts en vingt-deux apparitions avec les Reds. Une évolution qui doit autant à la confiance et à l’ADN d’une équipe façonnée par Jürgen Klopp qu’à la charge de travail que s’impose l’attaquant au quotidien. «Quand il part en vacances au Sénégal, il emmène un préparateur physique avec lui, tout est pensé, la récupération, le sommeil… Il a une vraie stratégie et il bosse comme un malade ! Il est très, très professionnel, insiste Olivier Perrin. Lors du dernier rassemblement, j’ai voyagé jusqu’à Dakar avec quasiment tous les internationaux. Seuls deux d’entre eux avaient réservé un siège business : Kalidou Koulibaly et Sadio Mané. Ça peut paraître anodin, mais ça ne l’est pas. Eux, ils pensent à leur confort, à la façon dont ils voyagent. Les gens pensent que le mec est un génie, parce qu’il fait des ailes de pigeon, mais ça ne suffit pas !»
Pour se hisser au niveau de ses deux partenaires d’attaque, Mohamed Salah et Roberto Firmino, Sadio Mané se soucie donc du moindre détail, mais a aussi su étoffer son jeu, au point de devenir un redoutable finisseur (24 buts en 47 matches cette saison) au cœur de sa troisième saison sur les bords de la Mersey. Et d’attirer, à nouveau, les convoitises du Real Madrid. Une vague sur laquelle compte bien surfer un Sénégal particulièrement attendu à la prochaine Coupe d’Afrique des nations. Le sélectionneur Aliou Cissé figure en tout cas au premier rang des fans du capitaine des Lions de la Teranga. «Sadio t’apporte tout, résumait-il l’an dernier durant la Coupe du monde. Il fait partie des meilleurs Sénégalais de l’histoire, si ce n’est le meilleur. Entraîner un garçon comme ça, c’est extraordinaire. En plus, il est d’une simplicité rare avec tout le monde. Plus d’un aurait changé.» Pas Mané. Au point que lorsque Mohamed Salah a été questionné sur le relationnel de son partenaire dans le vestiaire des Reds, il a offert une réponse plutôt parlante, bien que teintée de second degré : «De qui est-il le plus proche ? De personne ! Il vit tout seul à Liverpool, il mange tout seul, boit tout seul… Maintenant, il y a Naby (Keïta), mais avant, il faisait vraiment tout, tout seul, c’est véridique !» The Self Made Mané.
Cédric Chapuis, France Football