L’efficacité des dépenses publiques, un des leviers essentiels pour endiguer l’endettement chronique et mortifère de l’Etat du Sénégal
Par
M. Sekou SONKO, Inspecteur divisionnaire des Finances publiques, Agence Nationale du Sport France
M. Diaoula SADIO, Ingénieur Statisticien Économiste, BPI France
Lors de l’analyse de la Loi de Finances Initiale de l’année 2023, nous avions alerté certains parlementaires sur le “virus de l’endettement” qui menace sérieusement la souveraineté de notre pays, avec notamment 67% de dette extérieure. Le dernier état des lieux dressé par le Premier ministre et son ministre de l’Économie sur la situation des finances publiques est très inquiétant, même si ce n’est pas une surprise au regard de la gestion peu orthodoxe des deniers publics par le régime sortant. C’est à se demander comment le “Projet” pourrait être mis en œuvre avec une dette aussi élevée, de l’ordre de 83% du PIB et, surtout un déficit qui crève le plafond établi par l’UEMOA.
D’après le rapport d’exécution budgétaire du quatrième trimestre 2023, le déficit en 2023 serait de près 917 milliards de FCFA ; soit environ 23,5% des recettes budgétaires. En 2022, il était de 1 280 milliards FCFA, soit environ 36% des recettes budgétaires. Ces déficits budgétaires sont financés par un endettement frénétique et compulsif dont le coût pour les finances publiques devient de plus en plus inquiétant, surtout avec la forte hausse des taux d’intérêt depuis 2022.
Les charges financières de la dette publique étaient de 569 M€ en 2023 ; soit +34% par rapport à la prévision du gouvernement. L’écart très élevé par rapport aux crédits ouverts pose la question de la fiabilité et de la sincérité des prévisions des charges financières. Rappelons que ces charges financières représentent le deuxième poste de dépenses budgétaires après le ministère de l’éducation nationale. Elles représentent près de 16% des recettes fiscales de l’Etat. Par ailleurs, les recettes internes de l’Etat ne couvrent que 9,2 mois de dépenses, ce qui signifie sur 3 mois, l’Etat du Sénégal vit à crédit ou sous dépendance des « dons » budgétaires ou en capital.
Il y a un vrai risque de forte hausse de cette ligne budgétaire, avec la dégradation de la note souveraine du Sénégal par les agences de notation et la hausse des taux d’intérêt qui va en découler. Il devient donc urgent d’agir avec détermination et beaucoup d’ingéniosité pour inverser la trajectoire de la dette de plus en plus insoutenable et libellée, pour l’essentiel, en monnaie étrangère.
La rationalisation des dépenses budgétaires, un des leviers du programme de la coalition Diomaye Président pour une croissance économique endogène, profitable au peuple sénégalais, devient donc un impératif absolu.
Pour réduire les déficits budgétaires et impacter positivement la vie quotidienne des sénégalais et sénégalaises, deux séries de solutions s’offrent aux pouvoirs publics:
Transformer radicalement la gestion des politiques et ressources publiques;
Refonder le modèle administratif du pays pour rendre l’État du Sénégal plus efficace et efficient.
1 – La nécessité d’une transformation radicale de la gestion des politiques et ressources publiques
Une transformation systémique de l’action publique doit rapidement être engagée sur plusieurs aspects.
A – Evaluer l’efficacité économique et l’utilité sociale de l’ensemble des politiques fiscales à destination des entreprises et des ménages
Il faudrait instaurer de manière pérenne la culture de l’évaluation systématique des politiques publiques notamment par des organismes indépendants.
Le système fiscal inclut généralement des « dépenses fiscales », c’est-à-dire des dispositions qui renvoient à des choix politiques par lesquels le gouvernement accepte de se priver d’une partie de ses revenus fiscaux pour atteindre des objectifs économiques et sociaux.
Les dépenses fiscales de l’Etat étaient évaluées à 952 milliards de FCFA en 2021; soit 37,10% des recettes fiscales de l’année; 6,2% du PIB et une hausse de +109,6 milliards FCFA par rapport à 2020. Elles sont réparties comme suit : 42,8% pour les entreprises, 27% pour les ménages et 18,5% pour les collectivités publiques. De 2013 à 2021, les dépenses fiscales sont de l’ordre 6 355 milliards FCFA ; soit 1,8 fois les recettes fiscales de 2023.
A priori, toute politique économique ou fiscale devrait faire l’objet d’une étude d’impact pour s’assurer de son efficacité économique et de son utilité sociale. Toutefois, une évaluation sérieuse des politiques publiques est malheureusement très rare au Sénégal. Une évaluation pertinente permettrait de procéder à des réajustements et à la suppression des politiques fiscales / économiques inefficaces et coûteuses. Cela générerait des recettes additionnelles pour l’Etat qui pourraient être utilisées de manière utile. Cette mission doit être confiée à la Cour des Comptes, complétée par une mission d’évaluation annuelle des dépenses fiscales par l’Assemblée nationale qui doit décider du maintien ou non de chaque dépense fiscale.
Par exemple, pour les ménages, une politique d’aide sociale ciblée dépendant du revenu du ménage doit être mise en œuvre afin de réduire de manière significative les dépenses fiscales sur certaines denrées de première nécessité importées (comme le riz), et en contrepartie, octroyer des aides sociales à des ménages qui sont réellement dans le besoin.
Pour ces denrées, le niveau des taxes doit être adapté au besoin réel du marché intérieur ; par exemple, augmenter les taxes sur le riz importé pendant la période de disponibilité du riz local. Il est paradoxal que le riz importé coûte parfois moins cher que le riz local.
Enfin une politique fiscale ne doit pas se faire par des suppressions et créations aléatoires et erratiques d’impôts; elle doit être économiquement efficace et socialement juste, avec des mécanismes pertinents de suivi et d’évaluation des politiques publiques. Les dépenses fiscales ayant un impact négatif sur la santé publique doivent être supprimées ou strictement limitées. C’est le cas par exemple de la baisse des taxes sur le tabac, les boissons alcoolisées, les corps gras alimentaires, les bouillons alimentaires, etc.
Une baisse de 25% de ces dépenses fiscales générerait au moins 250 milliards de francs CFA par an de recettes. C’est autant d’argent qui ne sera pas emprunté. Il s’agit également d’un levier essentiel pour limiter durablement le déficit chronique de l’Etat.
B – Refonder le modèle économique des subventions et aides aux entreprises
Pour réduire le poids des subventions et aides diverses aux entreprises dans les dépenses publiques, toutes les subventions et aides aux entreprises ou à la création d’entreprises doivent être partiellement ou totalement remboursables, si l’entreprise qui en a bénéficié atteint une certaine solidité financière.
Ces subventions et aides remboursées serviront à aider d’autres entrepreneurs et entreprises sans avoir besoin de les budgétiser à nouveau ou de les financer par des recettes nouvelles. Les subventions et aides peuvent être transformées en subvention remboursable, prêts à taux d’intérêt zéro ou bonifié, participation ou investissement en capital, en dette subordonnée.
La gestion financière de ces « subventions ou aides » aux entreprises pourraient être confiée à la future banque publique d’Investissement du Sénégal dont la création est prévue dans le programme de la Coalition Diomaye Président.
Par exemple, les sociétés ayant obtenu des aides publiques pendant leur développement, seraient amenées à reverser au moins le quart de cette subvention dans un fonds lorsqu’elles auront atteint une rentabilité suffisante. Cela créerait un cercle vertueux sans grever les finances publiques.
C – Gérer plus efficacement les entreprises publiques
La gestion irrationnelle de la compagnie nationale Air Sénégal est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire en matière de pilotage d’une entreprise publique. Les difficultés financières d’Air Sénégal ont fait l’actualité ces dernières semaines, avec la décision de la justice américaine autorisant la saisie de quatre de ses appareils, loués à Air Sénégal par Carlyle Aviation, une société américaine de location d’avions. Air Sénégal a également annoncé la fermeture de plusieurs lignes. La gestion d’Air Sénégal est un cas d’école de l’amateurisme et la désinvolture avec lequel certaines sociétés publiques sont gérées : ouverture hasardeuse des lignes sans études de rentabilité sérieuses, modèle économique incohérent et inadapté aux enjeux du transport aérien, qualité de service médiocre, retards abusifs, billets trop chers, personnel pléthorique souvent recruté sur la base de critères politiques, etc. Sa situation financière catastrophique risque de coûter très chère aux finances publiques pour essayer de la sauver de la faillite.
Pourtant, pour anticiper les risques budgétaires et financiers des sociétés publiques, la Direction du Budget publie chaque année un “rapport sur les risques budgétaires des sociétés publiques” par l’étude de quelques sociétés. Pour le rapport de 2024, dix (10) sociétés nationales et sept (07) sociétés à participation publique majoritaire ont été analysées sur la base des états financiers certifiés de l’exercice 2022. Or, Air Sénégal est curieusement passé entre les mailles du filet de cette analyse. Sans surprise, certaines de ces sociétés présentent un risque élevé, voire très élevé sur leur capacité de remboursement de leur dette sur la base des états financiers certifiés de 2022 : SN HLM, SOGIP, SOGEPA, FONSIS, RTS, DDD, SIRN, SONACOS, SSPP Le Soleil, APIX, PETROSEN.
Par ailleurs, pour la SONACOS, l’Etat a dû payer 11,5 milliards de FCFA en 2023 pour l’apurement de l’échéance d’une dette. DDD et SSPP Le Soleil avaient des fonds propres négatifs de -39,2 milliards FCFA et -2,4 milliards FCFA, respectivement. Sur la base des états financiers de 2019, la société SN La Poste avait des fonds propres de -86,87 milliards FCFA. Une gestion politique et hasardeuse des sociétés publiques coûte très cher au peuple sénégalais.
Pour que les sociétés publiques atteignent les objectifs ayant justifié leur création, le choix des dirigeants doit être fondé sur la compétence, la probité, le patriotisme, leur ambition, leur vision pour la société. Il est nécessaire que ces dirigeants, les directeurs, les différents responsables d’équipes soient formés sur le management des hommes et des projets. La gestion des entreprises publiques et parapubliques doit être fondée sur un modèle managérial clair reposant sur une démarche permanente de maîtrise des risques financiers, opérationnels, juridiques et de réputation. Ces organismes devront systématiquement nommer à leur sein des contrôleurs de gestion et des auditeurs internes chevronnés qui devront veiller à l’atteinte de leurs objectifs stratégiques et opérationnels.
Le choix des administrateurs doit également être amélioré afin de réduire la prédominance des politiques et augmenter les administrateurs experts “indépendants”.
Enfin, les rapports d’audit des corps de contrôles de l’Etat doivent être systématiquement rendus publics et toute faute grave de gestion doit être systématiquement sanctionnée. Le pouvoir d’auto-saisine des autorités judiciaires doit être renforcé pour permettre de mieux sanctionner les atteintes à la probité dans la gestion des deniers publics. A défaut, on pourrait permettre à un groupe de citoyens, des lanceurs d’alertes, des partenaires sociaux, des administrateurs de pouvoir saisir la justice pour dénoncer les infractions financières.
2 – L’indispensable refondation du modèle administratif pour rendre l’État du Sénégal plus efficace et efficient
A – Rationaliser l’administration, des agences et autres démembrements de l’Etat
Pour répondre à certains défis économiques et politiques mais, surtout, pour des raisons souvent politiciennes, les deux derniers régimes politiques ont créé plusieurs agences et directions spécialisées, dont plusieurs ont des compétences très proches ou complémentaires. Une rationalisation est une nécessité absolue pour plus d’efficacité économique et sociale de l’action publique, de simplicité, de cohérence, et aussi pour réduire les coûts de fonctionnement. Bien évidemment, il y aura beaucoup de lobbying pour empêcher la rationalisation parfois dans un seul but de garder les postes de direction ou de protéger la position d’amis bien « casés » au détriment de l’intérêt général du pays.
Le secteur du financement et l’accompagnement publics des entreprises est par exemple très fragmenté avec notamment la cohabitation de la BNDE, du FONGIP, de l’ADEPME, du BMN, du FONSIS, etc. Une rationalisation de ces dispositifs par la création d’une banque publique d’investissement pouvant offrir toutes les solutions de financement et d’accompagnement des entreprises serait donc nécessaire, avec plusieurs avantages : un seul interlocuteur pour les entreprises, l’Etat et les collectivités territoriales ; une réduction des coûts de fonctionnement par la mutualisation ; une efficacité opérationnelle ; plus de clarté et de visibilité de l’offre de financement public.
Il en est également de même des services publics de l’emploi qui sont très segmentés avec notamment la cohabitation de la direction de l’emploi et ses pôles Emploi avec la DER et l’ANPEJ, avec parfois une gestion assez brouillonne et inefficace.
L’analyse du décret n°2024-940 portant “répartition des services de l’Etat et du contrôle des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation publique entre la Présidence de la République, la Primature et les ministères”, fait apparaître des pistes intéressantes de rationalisation dont voici quelques exemples :
Le “Bureau de Suivi et d’Évaluation des Politiques et Programmes publics” et le “Bureau Opérationnel de Coordination et de Suivi des Projets et Programmes”, peuvent fusionner en une seule et unique “entité” en créant des “pôles ou cellules” de coordination, de Suivi, d’Évaluation; cette dernière peut être confiée à la DPEE ou l’ANSD qui pourrait faire appel à des experts universitaires pour l’accompagner pour effectuer les évaluations;
La DPEE pourrait être intégrée à l’ANSD pour créer un grand Institut public de la Statistique et des études économiques et sociales dont le fonctionnement doit être financé par des ressources internes;
L’Agence sénégalaise de l’électrification rurale, l’Agence pour l’Economie et la Maîtrise de l’Énergie et l’Agence nationale pour les Énergies renouvelables pourraient être regroupées au sein d’une seule entité;
Le financement du logement social par la création d’un pôle autour de la CDC (CDC, BHS, Fonds pour l’habitat social, etc.) devrait être rapidement mis en place pour plus d’efficacité et d’efficience; en effet, la CDC collecte l’épargne publique qui pourrait être mobilisée pour financer les politiques de logements sociaux;
Le fonds d’impulsion de la microfinance et le fonds national de la microfinance pourraient être intégrés dans un seul et unique fonds;
Le Bureau de Mise à Niveau (BMN), l’Agence de développement et d’Encadrement des PME (ADEPME), l’Agence sénégalaise de promotion des exportations pourraient être regroupés dans une seule et unique agence, ou au mieux être intégrés à la future banque publique d’investissement;
Le fonds national de l’entreprenariat féminin et le fonds national de crédit pour les femmes pourraient être fusionnés, pour plus de simplicité, clarté;
La société des Mines du Sénégal (SOMISEN SA), la société des Mines de Fer du Sénégal Oriental, la Société des Mines d’Or de Sabadola, pourraient former une seule et unique société, avec des filiales spécialisées;
L’Agence de développement local et l’Agence de développement municipale peuvent être regroupées en une seule et unique agence;
Les directions de la promotion et de la protection des groupes vulnérables et la direction de la promotion et de la protection des personnes handicapées peuvent être fusionnées;
“Le Soleil” n’a plus d’utilité publique réelle : elle devrait être privatisée; cela permettrait de faire plusieurs centaines de millions d’économie par an;
Une seule et unique agence pour rationaliser “l’Agence de construction des bâtiments et édifices publics” et “l’agence nationale de l’aménagement du Territoire”, avec par exemple deux directions : Construction des bâtiments et édifices publiques d’une part, Aménagement du territoire d’autre part;
L’Agence des Travaux et de Gestion des Routes et l’Agence nationale de la sécurité routière peuvent être regroupées avec plus synergie, avec deux directions : Direction des travaux et gestion des routes d’une part, Direction de la sécurité routière d’autre part. En effet, la gestion des routes a un impact sur la sécurité routière, les deux agences se complètent;
Divers “petits fonds” rattachés à des ministères pourraient aussi être rationalisés pour faciliter leur suivi et évaluation.
Ces réformes nécessaires vont générer des économies d’échelle substantielles au travers la mutualisation des fonctions transversales, les coûts de l’immobilier, les rémunérations et frais divers de personnel, l’efficacité dans les process, etc.
La future Assemblée nationale ou la Cour des comptes pourrait effectuer des missions sur la rationalisation de l’administration, des agences et autres démembrements de l’Etat. Il ne sera pas nécessaire ou utile de créer une “Agence de la rationalisation et de la simplification”. Une délégation à la transformation de l’Etat pourrait être mise en place pour avancer rapidement sur ce chantier structurant et prioritaire.
B – Procéder à un big-bang de l’organisation de la décentralisation de l’État et restructurer en profondeur le fonctionnement des services déconcentrés de l’État pour plus d’efficacité et d’efficience
La structure déconcentrée et décentralisée de l’Etat devrait aussi faire l’objet d’une refonte totale afin de répondre aux aspirations des citoyens tout en rationalisant les dépenses publiques. Il ne peut pas y avoir une décentralisation effective sans une déconcentration optimale des services de l’Etat.
Transformer les pôles de développement économiques dont la création est prévue dans le programme de la coalition Diomaye Président, en huit (08) régions ayant une taille critique suffisante pour conduire des politiques publiques de développement décidées au plus près des besoins des citoyens. Épousant les anciennes frontières de nos provinces, ces collectivités seront dirigées par des présidents élus et seront dotées de compétences en matière de transport, de formation et de développement économique. Il faudrait allouer des ressources financières et fiscales suffisantes pour consolider leur autonomie financière.
Les Départements seront supprimés en tant que collectivités territoriales ou cantonnés à un rôle de guichet social pour assurer la cohésion sociale au plan local. Leur nombre devra être réduit notamment par la fusion de collectivités les plus petites.
Enfin, les communes devront elles aussi faire l’objet d’une rationalisation drastique aussi bien dans leur nombre que dans leurs compétences trop nombreuses, en plus avec un manque criard de ressources humaines et financières qui les confine à l’impuissance devant les besoins croissants de leurs administrés. Les maires sont obligés de compter notamment sur les partenaires étrangers pour financer leurs dépenses d’investissement.
Il faudra également mettre en place une véritable Fonction publique territoriale pour permettre aux collectivités territoriales de disposer de ressources humaines de qualité capables de concevoir et de piloter efficacement des politiques publiques de développement au niveau local.
Pour accompagner ce big-bang administratif, il sera indispensable de réformer en profondeur l’administration territoriale de l’État. Les missions du gouverneur (appellation devenue obsolète au 21e siècle) seront confiées à un préfet de région qui aura une autorité hiérarchique sur les préfets de département. Il aura pour mission d’animer et de coordonner les politiques publiques de l’État dans les territoires en collaboration étroite avec les collectivités territoriales et les partenaires publics et privés. Un modèle de management pertinent sera mis en place afin de moderniser l’Etat en transformant l’administration de type “coloniale” et autoritaire en administration de services plus proche des citoyens.
Cette transformation ne doit pas épargner l’administration centrale dont certaines structures exercent des missions similaires ou très proches avec des résultats médiocres en termes de qualité de service.
Le train de vie de l’Etat doit faire l’objet d’un audit approfondi afin de trouver des marges de manœuvre financières indispensables pour réduire les déficits budgétaires chroniques. Les mesures annoncées par le Premier ministre tendant à rationaliser la consommation électrique des administrations vont dans le bon sens. Il faudra aller plus loin en mettant en place une stratégie globale de pilotage du parc immobilier de l’Etat à travers l’élaboration des schémas pluriannuels de stratégie immobilière des administrations centrales et des opérateurs de l’État. Ces schémas permettront d’abord d’effectuer un diagnostic du parc immobilier avec pour objectif un état des lieux de l’existant avant de définir la démarche stratégique de l’administration et de l’opérateur de l’Etat pour rationaliser et améliorer la performance immobilière de son parc en matière notamment de consommation des fluides (électricité, gaz, eaux, téléphone, etc.).
Un système informatisé et centralisé de suivi de la consommation des fluides ainsi que des carburants devrait être mis en place pour éviter le gaspillage très coûteux pour le budget de l’Etat. Il permettra de suivre en temps réel l’évolution de cette consommation et, le cas échéant, de procéder aux ajustements nécessaires en cas d’abus de la part des administrations et des démembrements de l’Etat. Ce mécanisme devrait aider l’État à atteindre ses objectifs en matière de sobriété énergétique tout en faisant des économies budgétaires substantielles.
Toutes ces réformes conduiront à réduire sérieusement le train de vie de l’État tout en rendant son action plus efficace. Il faudrait assurer la transformation de l’action publique en sortant les politiques publiques d’une logique de moyens pour les ancrer dans une logique de résultats avec la mise en place d’indicateurs de performance clairs et mesurables.
C – Renforcer l’efficacité des agents publics par l’accompagnement et la formation
Jusqu’à récemment, beaucoup de citoyens sont nommés à des postes à haute responsabilité, de directeurs ou directrices, sans aucune expérience réelle de gestion, de manager. Être un manager de quelques dizaines, voire centaines, de personnes ne s’improvise guère. Être un manager public aujourd’hui, c’est porter des orientations stratégiques dans des domaines à forte expertise technique, conduire les transformations tout en veillant à embarquer ses équipes vers la réalisation des objectifs fixés, dans les meilleures conditions de travail possibles.
Dans un contexte de fortes transformations induites par le projet politique adopté par le peuple sénégalais, le pays doit se doter d’un modèle managérial pour permettre à son Administration de fixer un cap, de donner de la visibilité aux managers pour conduire le changement et de les accompagner dans la réussite de ces réformes.
Fort levier de transformation, le modèle managérial doit refléter concrètement ce que l’Administration sénégalaise attend de ses managers pour aujourd’hui et pour demain. Il doit donc s’adresser :
à tous les managers en situation d’encadrement, qu’ils soient titulaires, détachés ou contractuels,
aux cadres en devenir,
par extension, à tous les agents de l’Administration sénégalaise,
à toute personne extérieure souhaitant rejoindre l’Administration sénégalaise.
Cette formation permettra d’augmenter significativement l’efficacité des agents publics par la hausse de leur productivité et leur qualité de service rendu aux sénégalais, renforçant ainsi l’efficacité des dépenses publiques.
Pour mettre en place et renforcer une culture managériale commune au sein de l’Etat, il est indispensable de refonder les cursus de formation initiale et continue des établissements d’enseignement des agents publics. Des modules de management public doivent être systématiquement déployés dans ces organismes afin d’inculquer la culture du résultat aux cadres de l’administration.
Ces mesures devront être accompagnées par la diffusion de la déontologie dans la gestion des affaires publiques.
Enfin, une politique de tolérance zéro doit être mise en œuvre pour sanctionner très sévèrement les auteurs des atteintes à la probité dans la gestion des deniers publics. Cela pourrait être au travers d’une réforme profonde du régime de responsabilité des gestionnaires publiques avec la mise en place au sein de la Cour des comptes d’une juridiction chargée de les juger sans attendre des délais trop longs après la constatation des infractions financières.
3 – En conclusion
Le déficit budgétaire de l’Etat du Sénégal se creuse d’année en année et est financé essentiellement par un endettement compulsif qui réduit dangereusement les marges de manœuvre financières des pouvoirs publics. Pour infléchir cette trajectoire mortifère des finances publiques, des réformes d’envergure sont devenues indispensables. Au-delà d’une stratégie intelligente de désendettement que doit mettre en place le nouveau régime élu en mars 2024, ces réformes doivent porter sur l’ensemble des secteurs de l’Etat central, déconcentré et décentralisé. Ces transformations doivent également concerner les comportements et l’état d’esprit de ses agents.
La mise en œuvre de ce pack de transformation, dans un délai raisonnable, permettra à l’Etat de dégager des marges de manœuvres financières additionnelles de quelques centaines de milliards de FCFA par an, réduisant ainsi le déficit budgétaire et par conséquent la progression de la dette publique et ses charges d’intérêt. Ce paquet de réformes augmentera également, très fortement, l’efficacité économique et l’utilité sociale des dépenses publiques.
Enfin, la BCEAO doit contribuer davantage au financement de l’économie au travers les entreprises, en rendant plus attractifs les crédits bancaires aux entreprises, en particulier les PME, au moyen d’un refinancement approprié, moins coûteux. En 2023, la BCEAO a réalisé un bénéfice net de près 315,6 milliards FCFA; soit +152% par rapport à l’exercice 2022. Cette hausse est principalement soutenue par une forte augmentation des produits d’intérêts (+124%). Il est paradoxal que la BCEAO fasse autant de bénéfice au détriment de l’économie réelle, rendant l’accès aux crédits plus cher pour les entreprises et les ménages.
Notes:
* Le montant des charges financières de la dette publique prévu dans la LFI 2023 était de 424,32 milliards de FCFA (cf. Le Rapport d’exécution budgétaire, quatrième trimestre 2023)
* Source : Le Rapport d’Évaluation budgétaire des dépenses fiscales, édition 2021, Ministère des Finances et du Budget