Le Système Électrique au Sénégal et le Blackout du 12 Septembre 2024 : Analyses et Recommandations
Le 12 septembre 2024, une grande partie du Sénégal a été plongée dans l’obscurité à la suite d’une coupure généralisée du réseau électrique, provoquée par un incident au poste de Hann, un nœud crucial du réseau de transport. Cet événement a mis en exergue la vulnérabilité du système électrique national ainsi que les enjeux de sécurité et de résilience. Dans cet article, nous explorons les fondamentaux du système électrique sénégalais, les défis de sa sûreté dans un contexte d’intégration régionale au marché ouest-africain, et proposons des recommandations pour prévenir de futures crises similaires.
I. Les Fondamentaux du Système Électrique
Un système électrique est un ensemble complexe composé de trois éléments interdépendants : la production, le transport et la distribution de l’électricité.
• La Production d’Électricité
La production d’électricité au Sénégal repose sur une combinaison de sources d’énergie fossiles (gasoil, fioul, bientôt le gaz) et renouvelables (hydroélectricité, solaire, éolien). Les principales centrales sont situées dans les régions de Dakar et Thiès, comme celles de Bel Air, Cap des Biches, Tobène et Kounoune, ainsi que le parc éolien de Taiba Ndiaye. Le pays bénéficie aussi d’une quote-part de l’énergie hydraulique produite par les barrages de Manantali, Félou et Gouina, via l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS).
• Le Transport de l’Électricité
L’électricité produite est transportée sur de longues distances via des lignes à haute tension (HT), puis abaissée en moyenne tension (MT) et basse tension (BT) pour être distribuée aux consommateurs finaux. La Senelec, gestionnaire du réseau de transport, relie le Sénégal aux pays voisins grâce aux infrastructures régionales de l’OMVS. Le poste de Hann, qui reçoit de l’électricité de plusieurs centrales, joue un rôle névralgique dans le système électrique sénégalais.
• La Distribution de l’Électricité
La distribution concerne l’acheminement de l’électricité vers les utilisateurs finaux : foyers, entreprises et services publics. La Senelec supervise l’ensemble de cette chaîne au Sénégal, bien que l’autoproduction d’énergie solaire par les particuliers se développe de plus en plus.
II. La Sûreté du Système Électrique
L’Équilibre Crucial Entre l’Offre et la Demande La sûreté d’un système électrique repose sur la capacité à maintenir un équilibre entre la production et la consommation d’électricité tout en garantissant la stabilité des infrastructures. Cet équilibre est reflété par le maintien de la fréquence du réseau à 50 Hz.
• L’Équilibre entre l’Offre et la Demande
Le maintien de cet équilibre est vital pour prévenir les coupures de courant (« blackouts »). Lorsque la demande excède l’offre ou qu’une partie du réseau est défaillante, le système peut s’effondrer. L’incident au poste de Hann a provoqué une perte soudaine d’un nœud majeur de transport, générant un déséquilibre qui a entraîné la déconnexion automatique de plusieurs infrastructures du réseau.
• La Disponibilité des Infrastructures
La sûreté du système dépend aussi de la fiabilité des infrastructures de production, de transport et de distribution. La disponibilité des centrales et la maintenance adéquate des lignes HT et des postes de transformation, tels que celui de Hann, sont essentielles pour éviter les interruptions prolongées. L’incident de Hann a révélé la vulnérabilité du réseau sénégalais face à des défaillances ponctuelles mais critiques.
III. Intégration Électrique dans la CEDEAO
Depuis juillet 2023, la Senelec est interconnectée à l’EEEOA (Échange d’Énergie Électrique Ouest Africain), également appelé WAPP (West African Power Pool), un réseau qui regroupe les pays de la CEDEAO et la Mauritanie. Ce pool énergétique vise à favoriser une solidarité régionale, en permettant aux pays membres de bénéficier d’un approvisionnement en électricité mutuel. Toutefois, des règles strictes encadrent cette solidarité : tout pays en déséquilibre majeur est temporairement exclu du réseau pour éviter une propagation de l’instabilité. Le Sénégal, en déséquilibre suite à l’incident de Hann, s’est retrouvé isolé des réseaux voisins, empêchant toute aide énergétique de la part de ses partenaires régionaux pendant plusieurs heures. Cette situation inhabituelle a retardé le rétablissement de l’équilibre du réseau, prolongeant la coupure et accentuant les pertes économiques pour le pays.
IV. Recommandations pour une Gestion Prévisionnelle et une Meilleure Résilience
Afin de renforcer la sûreté et la résilience du système électrique sénégalais, plusieurs mesures anticipatives doivent être adoptées, en s’inspirant des meilleures pratiques internationales.
1. Planification et Respect de la Règle N-1
La règle N-1 exige que le réseau puisse supporter la perte d’un composant majeur sans interruption du service. Cela passe par le renforcement de la redondance des infrastructures clés, telles que les postes de transformation et les lignes HT. Il est essentiel aussi que la Senelec révise son Plan de Protection, et son plan de sauvegarde pour se prémunir de tels incidents
2. Renforcement des Capacités de Maintenance et d’Investissement
La maintenance préventive des équipements critiques doit être une priorité. Les investissements dans la modernisation des postes de transformation et des lignes HT vieillissantes sont également indispensables pour réduire la vulnérabilité aux incidents isolés.
3. Amélioration de la Gestion des Contingences
La mise en place de scénarios d’urgence, couplée à une surveillance en temps réel et à des systèmes automatiques de reprise du service, permettrait d’améliorer la résilience du réseau. Une meilleure coordination au sein de l’OMVS et de l’EEEOA est essentielle pour garantir une réponse rapide aux pannes.
4. Sensibilisation et Prévention des risques électriques
Tout accident peut être évité. La mise en place d’une politique de prévention et de sensibilisation aux risques électriques, notamment à travers une politique HSE stricte, doit être au cœur des préoccupations de la Senelec. Selon le Directeur de la Distribution, un prestataire est entré dans le poste de Hann malgré les mesures de sécurité (balisage et identification des zones interdites)…
5. Diversification des Sources de Production et Intégration des Énergies Renouvelables
L’augmentation de la part des énergies renouvelables (solaire, éolien) pose de nouveaux défis. Ces énergies peuvent renforcer l’approvisionnement électrique et la résilience du système, à condition d’intégrer des capacités de stockage pour compenser la variabilité de ces sources. Une diversification intelligente, soutenue par des technologies de stockage, est essentielle pour garantir un approvisionnement stable.
Conclusion
L’incident du 12 septembre 2024 au poste de Hann souligne les défis persistants du système électrique sénégalais. Une gestion prévisionnelle des infrastructures, le respect de critère comme la règle N-1, et une meilleure coordination régionale au sein de l’OMVS et de l’EEEOA sont des clés pour renforcer la sûreté et la résilience du réseau. Avec des investissements ciblés et une planification rigoureuse, le Sénégal pourra non seulement stabiliser son approvisionnement en électricité, mais aussi mieux répondre aux besoins croissants de sa population et de son économie.
Abibou Seck