dimanche 1 décembre 2024
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La science à l’épreuve du Covid-19 : quelques pistes de solution pour l’Afrique

L’histoire de la science est une perpétuelle rupture, une révolution permanente dans laquelle les idées viennent contredire d’autres idées, les faits d’autres faits. Il existe une progression des vérités scientifiques et des théories, qui s’effectue davantage par correction d’erreurs antérieurs que par accumulation d’un savoir entièrement nouveau. « Dans l’histoire de la science, disait Karl Popper, toute vérité est une erreur qui sera remplacée par une autre mais beaucoup moins grande. Tant qu’il y a de l’avenir, toute vérité est partielle ». La recherche scientifique, pour ainsi dire, obéit à une démarche méthodologique avec des outils inhomogènes, dans un cosmos qualitativement différencié. Elle comporte naturellement des limites malgré les résultats raffinés, éclairés, qu’elle produit à postériori. Les épistémologues conviendront sûrement avec tous les gens sensés, et c’est de quoi ils peuvent s’en féliciter, que pour que la recherche médicale évolue, il faudrait que le protocole scientifique, le processus de création des vaccins ou médicaments ainsi que leur efficacité, soient constamment remis en question dans le temps. Prenons l’exemple des essais cliniques cité dans le livre d’Alain Rusterholtz intitulé Bonnes pratiques de l’ARC (Attaché de Recherche Clinique). Il évoque à la page 80 : « Chaque essai clinique a ses critères spécifiques d’inclusion des sujets participant à cet essai. Ces critères sont en général basés sur l’âge, la maladie et les antécédents médicaux de la personne. Dans tous les essais cliniques, il y a des sujets de l’étude qui sont très proches d’atteindre un ou plusieurs critères d’inclusion ou d’exclusion, mais qui, pour une raison ou une autre, ne l’atteignent pas. Exemples :

  • Le taux de créatine doit être inférieur à 2 mg/dl et le sujet a une valeur de la créatine de 2,1 mg/dl.
  • Le sujet doit être âgé de plus de 18 ans, mais le volontaire est âgé de 17 ans et 11 mois.
  • Un taux d’hémoglobine de dépistage doit être supérieur à 10 mg/ dl, mais le sujet a une valeur d’hémoglobine de 9,9 mg/dl.
  • Un dosage doit avoir lieu dans les 14 jours suivant la visite de sélection, mais le sujet est dosé à 15 jours ».

Cet exemple montre le caractère approximatif des essais cliniques à travers le choix des critères, tant et si bien que les résultats pourraient ne pas être fiables à cent pour cent. De ce point de vue, la démarche orthodoxe de la science médicale, avec son protocole de recherche classique appliqué dans le contexte du développement du Covid-19, suscite une levée de boucliers à travers le monde et nous invite à repenser cette méthode. En effet, deux logiques s’affrontent : une science empirique basée sur l’expérience, sur une science pratique qui cherche à résoudre un problème dans l’immédiat (cas du professeur Didier Raoult) et une science traditionnelle basée sur un protocole de recherche, sur un dogme presque « immuable ».



Ce qui est regrettable dans cette histoire, c’est le fait que beaucoup de médias, particulièrement en France, prennent parti dans ce débat scientifique, en mobilisant l’opinion contre la démarche empirique. C’est comme si les journalistes sont les seuls capables de cautionner les vérités scientifiques, les seuls à détenir le pouvoir et le niveau requis leur permettant de jeter le discrédit sur un scientifique, en le qualifiant de « chercheur controverse », de « rebelle ». En le « disqualifiant » avec beaucoup d’insistance et beaucoup d’ignorance, ils fabriquent de manière conjecturelle une opinion sur les supposés « conséquences d’un traitement ». Or, « l’opinion ne pense pas, elle pense mal » pour reprendre les termes de Gaston Bachelard qui, lui-même, définit la science dans sa Philosophie du non comme « une somme de preuve et d’expérience, somme de règles et de lois, somme d’évidences et de faits ». L’aller-retour et le va-et-vient entre l’expérience et la raison, semblent être au cœur de sa pensée. Pour lui, accéder à la science « c’est spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation qui doit contredire un passé ». Il aboutit à la conclusion selon laquelle « la doctrine traditionnelle d’une raison absolue immuable n’est qu’une philosophie, c’est une philosophie périmée ». Cette réflexion épistémologique de Bachelard est toujours actuelle. Nous en déduisons qu’une doctrine scientifique ne peut se suffire à elle-même et ne peut, en aucun cas, être pris comme un dogme.

Le Covid-19, en démystifiant le mythe de la recherche médicale, pose le problème de l’unité de la science face à la fragmentation des savoirs. En effet, on a beau chercher à unifier le monde avec une mondialisation qui n’est que le fruit de l’aboutissement de l’histoire, mais avec ses balbutiements, elle peine à vaincre la fragmentation de la science en différentes factions. Lorsqu’on parle de science, il y a « un objet » (le monde) et un « sujet » (l’homme), pour reprendre les termes d’Edgar Morin dans son livre intitulé Introduction à la pensée complexe. L’homme étant une partie intégrante de ce monde, il l’intériorise et ne peut s’extraire de son objet (le monde). D’ailleurs, c’est pour cela que nous pensons que toute production de science par l’homme devient incertaine puisqu’il est incapable de cerner les contours de son objet. Edgar Morin semble conforter cette analyse lorsqu’il évoque l’idée que nous somme régis par un degré d’incertitude généralisé. « Si effectivement l’esprit humain ne peut appréhender l’ensemble énorme du savoir disciplinaire, dit-il, alors il faut changer soit l’esprit humain, soit le savoir disciplinaire ».

En somme, avec l’avènement du Covid-19, nous assistons à la « lutte pour le monopole de la compétence scientifique », pour reprendre les termes de Pierre Bourdieu dans Sociologie et Sociétés. Il s’agit d’un enjeu concurrentiel pour détenir le monopole de l’autorité scientifique, entendu dans le sens Bourdien comme la capacité de parler et d’agir légitimement. Les conflits épistémologiques sont souvent couverts d’enjeux politiques et économiques, au-delà des enjeux de prestige et de reconnaissance sociale. La clarification d’un concept scientifique, le sens donné par exemple à un protocole de recherche, fait partie de la lutte pour détenir le monopole de la recherche. Abondant dans ce sens, Pierre Bourdieu affirme : « La définition de l’enjeu de la lutte scientifique fait partie des enjeux de la lutte scientifique et les dominants sont ceux qui parviennent à imposer la définition de la science selon laquelle la réalisation la plus accomplie de la science consiste à avoir, être et faire, ce qu’ils ont, sont ou font ».

Nous sommes tellement régis par un dogmatisme religieux de la science que le protocole de recherche vient en prendre le pas sur la finalité. Et pourtant Louis Pasteur, considéré comme « le père de la vaccination », avait bien compris sa vocation. En 1885, après s’être entraîné sur des animaux de ferme, il a pris le risque d’injecter une solution contenant un virus de la rage atténué à un jeune garçon de neuf ans, mordu par un chien malade. Il n’a pas cherché à comprendre les effets secondaires, puisque ce traitement n’avait été appliqué auparavant que sur deux personnes présentant des symptômes de la maladie de la rage, et malheureusement il n’y avait pas eu de résultats escomptés sur eux. Et cette fois-ci, il fallait prendre le risque d’appliquer cette solution dans cette situation où l’enjeu était de sauver une vie humaine. Il a finalement réussi son pari en juillet 1885 en sauvant ce jeune garçon de neuf ans. Ce succès dans la recherche lui a valu une reconnaissance dans le monde entier, d’où l’implantation des instituts Pasteur à travers le monde et particulièrement en Afrique.

L’Afrique exclue du débat scientifique ?

Pour trouver définitivement un remède contre le Covid-19, des chercheurs sont en train de s’activer dans les laboratoires à travers les quatre coins du globe. Mais l’Afrique qui semble être exclue de la recherche n’est nullement citée, pire encore, ses habitants pourraient être pris pour des rats de laboratoire avec des essais cliniques dont on ne connait pas réellement les conséquences sur les populations. On pourrait penser que l’Afrique est éternellement condamnée à être au service des autres continents, à jouer discrétionnairement son rôle d’asservissement envers « ses maîtres ». Pour qu’elle cesse d’être le cobaye du monde, il faut qu’elle s’approprie de son potentiel de ressources en plantes médicinale et de s’activer dans la recherche en créant ses propres normes et ses protocoles de recherches en adéquation avec ses réalités sociales, ses maux et ses maladies. Selon Joseph Ki-Zerbo, « si nous nous contentons de reproduire les formes matérielles du progrès technique, c’est comme si nous dressions le décor d’un théâtre où nous ne jouerions que le rôle de figurants ». Il n’est pas normal que « 90% de la recherche sur l’Afrique se fait en dehors de l’Afrique » (Cf. Recueil de texte introduit par Lazare Ki-Zerbo, 2015).

Que faire ?

Il faudrait que l’Afrique reprenne son destin en main en explorant, entre autres, ces quelques pistes :

  • Une souveraineté en matière de recherche scientifique, technique, et pharmaceutique avec un corpus de savoirs et de savoir-faire endogène rigoureusement établi.
  • Rompre avec le projet d’une certaine science « moderne », dogmatique, sous prétexte qu’elle est indépassable alors qu’elle est souvent utilisée au service d’une idéologie, d’une économie ou d’une politique.
  • Renforcer les structures de recherche déjà existant comme le CODESRIA et le CRDI au Ghana en leur dotant de moyens avec une mission beaucoup plus ambitieuse et un financement interne pour assurer l’essor de la recherche dans ce continent.
  • Valoriser le potentiel de recherche, en s’appuyant sur nos savoir-faire artisanaux pour propulser la technologie et la science. La technologie (logos de la tekhnê), désigne initialement les tentatives pour mettre en forme les savoir-faire artisanaux, ordonner leur réalisation à l’aide des mathématiques et de la mécanique (Cf. Hélène Vérin et Pascal Dubourg Glatigny (dir.)), Réduire en art. la technologie de la Renaissance aux lumières, 2008). Il est impensable que l’Afrique ne valorise pas ses outils artisanaux et qu’elle soit incapable de résoudre ses besoins les plus élémentaires. Il faut qu’elle réconcilie son industrie avec son artisanat. Les africains sont plus créatifs que les autres peuples qui ont réussi à réconcilier l’industrie à l’artisanat. « L’intégration technologique des savoir-faire artisanaux dans les chaînes de production industrielles était initialement le fait des artisans-entrepreneurs, qui avaient rendu possible la segmentation opératoire et l’adaptation ouverte de la production au marché. » (Cf. Guillaume Carnino, Les transformations de la technologie : du discours sur les techniques à la « techno-science », Dunod, 2010, n°150, pp 75 à 84).
  • Adapter la recherche aux besoins des peuples, aux maladies qui se développent, en rapprochant la science du citoyen, en dénonçant le mensonge de la neutralité de la recherche soutenu par certains chercheurs financés par des lobby industriels occultes.
  • Créer une organisation scientifique de validation des recherches qui sera financée par l’ensemble des États des pays africains. Cette organisation de haute facture scientifique, avec des compétences avérées, aura pour mission de certifier et de breveter toute découverte qui pourrait intéresser les africains, n’en déplaisent aux lobbys pharmaceutiques. Faire par exemple des études sérieuses sur l’Artemisia, et si son efficacité est avérée contre le paludisme, il faut vite penser à la production en quantité de médicaments pour approvisionner tout le continent ; n’en déplaise à l’académie des médecins occidentaux qui est réfractaire à cette solution.
  • Développer une véritable coopération de recherche interafricaine tout en ayant le contrôle sur les centres de recherche privé équipés, conditionnés et bâtis sur fonds étrangers.

Dr El Hadji Séga GUEYE – Sociologue
Email : sgueye9@gmail.com



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Gueye Thierno Ndia
4 années il y a

Idées bien organisées, combinaisons critiques basées sur la science, la philosophie, l’épistémologie, et la sociologie.
Vraiment du respect avec des solutions pertinentes proposées pour l’Afrique face à cette situation de calvaire.

Ndiaye idrissa
Ndiaye idrissa
4 années il y a

Excellent travail mon frère.
Vous avez bien traiter le sujet et y dégager des solutions excellentes.
Qu’Allah nous soutienne qu’on puisse mettre ces solutions en application.
Amine
Bravo Dr El-Hadji Séga Gueye

Pape Ndiamé Guèye
Pape Ndiamé Guèye
4 années il y a

Félicitation, pour cet argumentaire à la fois scientifique et historique. Encore faudrait il une réelle volonté et un courage d’acier aux dirigeants Africains pour assurer une effectivité pérenne des solutions proposées.

Très pertinent.

À bientôt

THIAM Ibrahima, alias, Fily
THIAM Ibrahima, alias, Fily
4 années il y a

Belle analyse de la situation actuelle avec un rappel historique très véridique. Nous pouvons compter sur nous-mêmes, « aide-toi et Le Ciel t’aidera ». L’Afrique doit son sursaut et son salut à cette pandémie. Je réclame une rupture totale avec l’Occident pendant un minimum de 10 ans et compter sur nos ressources et notre héritage scientifique et social pour nous prendre en charge sans l’aide de personne. Et parler de réelle coopération avec le monde. God bless Africa. Merci pour ton article.

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