mardi 8 octobre 2024
JusticePolitique

« Tirons les Rideaux »

Papa Massaër Niang, auteur du livre « Tirons les Rideaux » : « La modification de l’article 80 du Code pénal, des articles 29 et 30 du Code électoral doit une urgence pour les 83 députés de l’opposition »

 

 

Papa Massaër Niang est un Sénégalais établi aux Etats-Unis depuis quelques décennies. Dans son pays d’accueil, il s’érige contre le racisme dont les noirs sont victimes. Cette problématique est passée au crible dans une biographie intitulée : « Tirons les Rideaux ». L’immigré est aussi préoccupé par la tension politico-judiciaire qui peut être lourde de conséquences pour la stabilité du Sénégal d’ici la présidentielle. Plus qu’une simple affaire de diffamation opposant Ousmane Sonko de Pastef au Ministre Mbaye Niang, c’est aussi le procès de la justice sénégalaise. C’est une occasion pour les magistrats, les juges, de faire honneur à leur profession en objectant l’utilisation de la justice pour éliminer un candidat à l’élection présidentielle. Papa Massaër Niang se veut clair : l’indépendance de la justice ne peut pas s’obtenir uniquement par la création des textes. Dans cet entretien, il défend la position selon laquelle, lorsqu’on est un haut fonctionnaire, un haut gradé de l’armée, un juge, on doit par principe faire honneur à sa fonction quoique cela puisse nous coûter.  Aussi la modification de l’article 80 du Code pénal et des articles 29 et 30 du Code électoral doit être la priorité des députés de l’opposition.

 

 

 Vous êtes établi aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies. Mais tout ce qui se passe au Sénégal ne vous laisse pas indifférent. Pourquoi  ?

 

Le nombre d’années passées à l’extérieur ne pourrait être pris comme gage pour une possible déconnection par rapport à la terre mère. Je peux vous assurer qu’une écrasante majorité d’immigrés ne respire que pour le Sénégal. Je pense que les sommes d’argent envoyées chaque année au Sénégal montrent tout sauf une déconnection.  C’est vrai, nos cœurs battent pour le Sénégal, « Pithie mingui thi kaw, wayé khélam mingui thi souff » (l’oiseau est en haut mais tout son esprit en bas).

Certains, nous reprochent notre engagement, parce que disent-ils, nous ne vivons pas leur réalité et qu’à travers nos positions, nous semons le trouble. En vérité, nous vivons au cœur de toutes les questions sociales sénégalaises et communiquons avec nos familles, les amis. Et tout ce beau monde qui nous sollicite en nous précisant des détails inavouables. Avec les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), je peux dire que nous vivons la réalité sénégalaise en live, avec le recul suffisant pour l’analyse sans complaisance des situations et de tous les acteurs (les vrais ou faux problèmes, les responsabilités de ceux qui nous sollicitent ou de nos dirigeants, des partenaires occidentaux, etc.). De plus, nous avons l’avantage, connaissant nos réalités, de pouvoir proposer d’importer des solutions adaptées de nos pays d’accueil, afin de rendre la société sénégalaise plus juste et la vie des Sénégalais, en général, meilleure.

Il y a de cela un an, assis sous ma case, à la maison dans l’État d’Indiana, je scrutais le journal local. Un article parlait d’un juge qui avait été mis à pied pour deux mois parce qu’il avait manqué de respect aux contribuables qu’il jugeait. En effet, lors de l’essai de conciliation par le juge, un couple qui divorçait s’est lancé des invectives. Le juge leur avait tout simplement dit, « épargnez-moi vos balivernes ! ». Comparez cela aux rapports des justiciables avec nos juges et vous verrez qu’on est à des années lumières d’une justice équitable, d’une justice qui se respecte, d’une justice qui doit être respectée au Sénégal.

La justice sénégalaise est inféodée à l’exécutif et c’est la raison pour laquelle un bon nombre d’opposants, un bon nombre de personnes qui se sont retrouvées à la mauvaise place, au mauvais moment, se sont retrouvés sous mandat de dépôt”

 

 

Depuis un certain temps, il y a une série d’arrestations des personnes suite aux manifestations en marge du procès opposant Ousmane Sonko, leader du Pastef et le Ministre du Tourisme, Mbaye Niang. Quel regard portez-vous sur cette situation ?  

 

Ma lecture n’est en rien différente de celle de beaucoup de Sénégalais. Je dirais même de la majorité de la population. La justice sénégalaise est inféodée à l’exécutif et c’est la raison pour laquelle un bon nombre d’opposants, un bon nombre de personnes qui se sont retrouvées à la mauvaise place, au mauvais moment, se sont retrouvés sous mandat de dépôt. On se pose parfois des questions sur les valeurs, le courage et le sacerdoce attachés à certaines fonctions. En effet, ce ne sont pas uniquement les textes qui créent l’indépendance. Lorsqu’on est haut fonctionnaire, haut gradé de l’armée ou Juge, on se doit, par principe, de faire honneur à sa fonction, quoi que cela puisse nous coûter. Et en réalité qu’est-ce que cela peut leur coûter sinon qu’une carrière entre parenthèse pour un court laps de temps, avec au passage, un respect de tous ses pairs et des justiciables. Pendant ce temps, le cadre vertueux peut même faire un doctorat, écrire un livre, se consacrer un peu à sa famille. Bref, son courage ne lui aura pas coûté si cher. Notez que je ne suis pas en train de leur demander de faire ce que je ne ferais pas moi-même. En effet, en écrivant Tirons les Rideaux, j’aurai pu être licencié. Mais c’était une position à prendre pour essayer d’améliorer les choses pour les Noirs et je l’ai fait.

Aux USA ou dans les pays développés, il serait impossible de fermer les yeux sur la disparition d’un frère d’arme alors que les conditions de leur disparition n’ont pas été totalement éclaircies. Ce n’est pas aussi possible d’ordonner sans motif valable ou suffisant l’emprisonnement d’élèves, d’étudiants, de femmes et de vivre la conscience tranquille en regardant son épouse, ses enfants et, dans certains cas, ses employés. C’est aussi impensable de discréditer tout un corps et d’affronter le regard de ses collègues.

 

Ce sont ces valeurs qu’il faudrait importer, visant le respect de l’homme dans sa dignité. Le médecin doit respecter ses patients, le policier respecter les usagers, le banquier respecter les clients, le journaliste doit respecter ses lecteurs/auditeurs/téléspectateurs, etc.

 

Qu’est-ce qui peut alors expliquer la tension politico-judiciaire que le Sénégal traverse ?  

 

Tout ce brouhaha n’est dû qu’au fait que le Président Macky Sall est encore en train de tester le terrain pour une troisième candidature. A mon avis, la tactique utilisée est d’essayer de faire peur aux populations, tactique confirmée lors de la démonstration de force lors de la fête de l’indépendance ; une armada étalée sur la place publique. Je pense que les Sénégalais en rient, car ils ont appris depuis les élections de 2012 que la bataille est menée dans les urnes et Insh Allah, Macky sera battu si jamais il se présente. Malheureusement, ces vagues d’arrestations et surtout le procès de Sonko – Mame Mbaye risquent de nous amener vers l’embrasement, avant les élections, car les Sénégalais ne laisseront pas quelques magistrats aux ordres invalider la candidature de M. Sonko. J’espère que la Justice prendra ses responsabilités pour se faire respecter, pour enfin sauver la place et se ranger à côté de la population…

“L’opposition devra aussi travailler ensemble pour encore plus isoler  Macky Sall”

 

 

Comment peut-on éviter le scénario d’un embrasement avant la présidentielle de février 2024 ?

 

J’espère franchement que le Président changera de fusil d’épaule. Malheureusement il a posé assez d’actes pour ne pas nous faire espérer qu’il choisira l’apaisement. En revanche, je pense encore que nos juges ont la possibilité de se ressaisir. Je pense qu’ils devraient le faire parce qu’il est clair que ceux qu’ils combattent aujourd’hui, injustement, ont énormément de chances de se retrouver au pouvoir en 2024. Donc, s’ils sont avec l’exécutif pour leur carrière, pour leurs avantages, c’est le moment d’abandonner le navire Macky Sall. A bon entendeur…

En plus, ce débat sur la troisième candidature ne devrait même pas se poser, bon sang ! Assumons que les textes ne sont pas clairs et pourraient être lus différemment et en contradiction. Quand cela arrive, on peut se référer à l’esprit de la loi. L‘esprit du référendum, de la révision constitutionnelle de 2016 est clair. Qui n’en connaît pas l’esprit ? L’impossibilité de tout Sénégalais d’avoir plus de deux mandats consécutifs ! Donc la chose est claire, Macky ne pourrait se représenter si les juges disent le droit !

Assumant que, comme ils le font souvent, la magistrature pourrait suivre l’exécutif, je pense qu’on a encore une autre opportunité de clore ce débat une fois pour toute à travers nos chefs religieux. Si le Sénégal s’embrase, on en pâtira tous, et nos chefs religieux ont reçu le Président qui leur a dit que le référendum était fait pour verrouiller la constitution. Alors ils ont la possibilité de rappeler au Président la parole donnée et lui demander de les respecter en « Soutoura  ». Ce sont des personnes imbues de valeur et la fermeté voudrait qu’ils lui signalent que s’il ne choisissait pas l’apaisement, alors ils intimeront aux populations à voter pour qui elles veulent, excepté pour le Président sortant.

Qui pourrait gagner les élections si Touba, Tivaouane, Ndiassane, Kaolack, Yoff et le clergé lançaient cette Fatwa contre un participant aux élections présidentielles ? Mais l’opposition devra aussi travailler ensemble pour encore plus isoler  Macky Sall.

 

 

 

Une partie de l’opposition ne partage pas les méthodes de Ousmane Sonko lorsqu’il est convoqué par la justice…

 

 

 Vous avez raison ! Il y a encore du travail à faire dans leurs rangs pour en arriver à ce que je propose. Quiconque au Sénégal pense que Sonko devait simplement aller au tribunal pour les deux fameux procès a tout simplement le désir de le voir disqualifié pour les élections à venir. Yalla mooy mayer et j’exhorterai les « opposants non alignés à le soutenir. » Sans la masse, il sera inculpé. Et c’est exactement la raison pour laquelle Mr Niang a fait appel, il veut sa peau.

Aussi, avant d’arriver à la période préélectorale où il sera impossible de modifier certaines lois, l’opposition devrait commencer à se réunir pour proposer des projets de lois qui pourraient amener les 83 députés à voter pour mieux encadrer l’article 80 du Code pénal et les article 29 et 30 du Code électoral, qui sont l’objet de beaucoup de dérives… Cela amènera les populations à voir qu’elles n’ont pas voté en vain. Ces actes doivent être posés au plus vite après un fort lobbying. Ainsi, tous les candidats sérieux pourront prétendre au suffrage et comme le disait De Gaulle, « l’électeur est le juge du politicien et non le magistrat ».

 

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