vendredi 26 avril 2024
Kaddud Ndawi Rewmi

Réflexion sur la citoyenneté sénégalaise, ses obstacles et ses leviers

Qu’est-ce qu’être Sénégalais ? Si cette question était posée aux millions de sénégalais, nous pourrions déterminer s’ils s’identifient plus à leur confession, à leur ethnie, à leur terroir ou tout simplement à leur citoyenneté sénégalaise. Cela nous permettrait de savoir s’il y a ou non une fracture identitaire. Toutefois, certains événements récents nous laissent très sceptiques à ce sujet. Dès lors, il faudra réfléchir dans un futur proche sur les moyens de créer du lien entre le citoyen sénégalais et la République.

Petit rappel historique :

Le Sénégal a une histoire politique quelque peu particulière : d’abord, il y a eu  le passage de la royauté à la colonisation française et, ensuite, le passage de la période coloniale à la République. Le passage de la première à la deuxième forme d’organisation sociale et politique s’est heurté à une résistance armée et pacifique. Toutefois, cela n’a pas empêché la conquête du pays qui sera de fait, divisé en cantons avec comme chefs, ceux qui devaient être les héritiers légitimes du trône dans leurs royaumes respectifs, du moins, si la royauté avait continué à exister. On peut citer entre autres Thiéyacine FALL pour le Baol, Coumba Ndofène DIOUF pour le Sine ou encore Mbakhâne DIOP pour le Cayor[1]. Cette trompeuse égide avait une double finalité : d’une part, donner au peuple l’impression d’une continuité de la chefferie traditionnelle et leur faire accepter et reconnaitre la nouvelle autorité, mais aussi de l’autre, surveiller les chefs qui pouvaient être animés par des sentiments de résistance ou de vengeance.  A la différence de la première forme, le passage de la colonie française à la République du Sénégal s’est fait de manière pacifique, ce qui a abouti à la création de la fédération du Mali. Aussi, pourrait-on se demander s’il n’y a pas un rapport entre cette transition pacifique et notre sentiment de citoyenneté ? Outre ce passage pacifique, l’appareil idéologique de l’Etat, l’école, s’est vue plus ou moins confrontée à une résistance des populations car perçue comme un instrument d’aliénation culturelle.



L’Etat Sénégalais et le citoyen sénégalais :

On peut aussi remarquer que de l’indépendance à nos jours, les rencontres entre les institutions étatiques et certaines populations sont peu nombreuses. Beaucoup se retrouvent dans le secteur dit informel par manque d’opportunités ou de débouchés suffisants et ne rencontrent les autorités étatiques qu’à l’approche d’élections.

Parmi les éléments pouvant éloigner le citoyen de la communauté nationale, il faudra peut-être ajouter, des dirigeants qui n’arrivent toujours pas à manifester une indifférence aux différences et à rassembler les sénégalais, de toutes conditions, de toutes origines, de toutes confessions et obédiences sous « le drapeau ». Pire encore, quand l’intérêt général est occulté par la juxtaposition d’intérêts particuliers avec au sommet, ceux de la personne qui préside à la destinée du pays. Ce dernier consistant à rester le plus longtemps possible au pouvoir quitte à bafouer les règles les plus élémentaires d’une démocratie. On s’aperçoit ainsi que la mauvaise gouvernance n’a pas que des conséquences économiques. Renvoyant une mauvaise image des hommes politiques et de la politique en général, elle suscite, de facto, le désengagement des citoyens de la chose publique et de sa gestion. Cela se lit à travers les forts taux d’abstention aux élections ou encore, récemment, les comportements des sénégalais vis-à-vis des mesures prises par l’Etat dans le cadre de la lutte contre la Covid 19. Un tel état de fait nous interpelle sur leur rapport avec l’autorité étatique, au-delà de la dimension citoyenne. En outre il y’a, « la question des intercessions des autorités religieuses en faveur de personnes retenues dans les liens de la justice (…) la relation ambigüe entre l’Etat et les communautés religieuses[2] » qui, nous l’espérons, ne signifie pas que le spirituel soit plus fort que le temporel dans notre pays. Toujours est-il que cette hypothèse doit être évaluée.

 Si au Sénégal, on commence à se focaliser sur l’origine et la confession d’un candidat à la magistrature suprême ; il conviendra à ce moment-là, de rappeler que la nation doit être vue comme un groupe de gens unis par une forte citoyenneté largement partagée et surtout pas moins partagée que le sens de la solidarité culturelle et ethnique. Le fort sentiment de citoyenneté est moins important qu’une bonne politique d’enveloppement nous dirons certains. Une économie peut se voir ébranler par une instabilité, certains de nos voisins notamment les ivoiriens nous en ont fourni l’exemple. Dans l’histoire, certaines sociétés ont disparu non pas parce qu’elles ont été confrontées à une crise économique mais parce qu’elles n’ont pas su réussir une bonne intégration à la communauté politique, des différentes composantes de leur société. C’est à cette idée que renvoie ce propos de Samuel P. Huntington, qui reprenait cette interrogation de J.J.Rousseau : «  Si Sparte  et Rome ont disparu quel Etat peut espérer perdurer éternellement ? Un jour ou l’autre les sociétés les plus prospères sont menacées de l’intérieure par la désagrégation et la dégénérescence, et de l’extérieur par des forces barbares plus vigoureuses et dévastatrices [3]». Les futurs dirigeants du Sénégal devront avoir entre autres tâches, celle de rassembler autour d’un crédo sénégalais qui sera placé au-dessus de toutes les appartenances et obédiences car étant la seule qui réunit la totalité des sénégalais.

L’Etat et le citoyen :

Pour rappel selon la conception de Max WEBER : « l’Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné.[4]» Cette conception de l’Etat qui s’inspire des grands philosophes des théories contractuelles signifie que l’Etat naît lorsque des individus acceptent de confier leur volonté à une force supérieure en échange de leur sécurité. L’obéissance devrait donc être consenti surtout s’il y a une bonne intégration à la communauté politique, un fort sentiment de citoyenneté, et, on ne le dira jamais assez, de la sacralité oui, car il n’y a pas d’altérité entre le sacré et le politique, la politique a besoin du sacré sous plusieurs formes. Les éléments suivants l’illustrent : la notion de « mourir pour la patrie » renvoie à du sacré car on célébrera toujours ceux qui sont morts pour la patrie. Les décorations : élever des personnages considérables méritants ou éminents , ce phénomène permet d’assujettir l’individu à l’Etat. L’acte de vote quant à lui renvoie à un rite d’affirmation identitaire qui procure au citoyen le sentiment d’appartenir à la même communauté politique. L’impôt : la participation à la gestion de la chose publique est faite en tant qu’administré donc individu assujetti.  Conscient du fait qu’un fort sentiment de citoyenneté facilite la gouvernance, car, gage d’une obéissance consentie. Il faudra s’appuyer sur des leviers pour le fortifier, sur les futures générations, c’est pour cela justement que nous avons préconisé de réfléchir sur un programme de socialisation républicaine pour les prochaines générations.

Eu égard aux éléments évoqués plus haut, l’horizon d’un Etat-Nation nous semble bien lointain au Sénégal. Néanmoins, il sera possible pour celui qui devra présider à la destinée de notre chère nation, d’agir sur les futures générations qui seront certainement plus en mal avec la citoyenneté. Le Sénégal, est un pays qui a un potentiel économique considérable, une population très jeune. Avec une bonne intégration républicaine cette jeunesse sera le « vecteur » incontestable du passage de la richesse à la puissance. A défaut de cela, il faut savoir que dans un contexte où le monde ressemble à un village planétaire avec des rencontres et des échanges accrus notamment avec internet, où la notion de frontière n’a plus la même signification qu’il y a un siècle, toute fracture identitaire devient un terreau fertile pour faire pousser les identités infranationales dangereuses pour la concorde nationale.

 Un service militaire obligatoire :

 Le sentiment de citoyenneté est dans une nation ce que la motivation est au sein d’une entreprise. Il appartient aux dirigeants d’évaluer son niveau et de le faire évoluer par des leviers. Pour ce qui est du Sénégal, il faudra créer des espaces de socialisation républicaine. C’est justement pour cela que nous préconisons pour les futurs dirigeants du Sénégal d’instituer ce service militaire obligatoire pour les jeunes de 16 à 20 ans pour qu’ils apprennent le respect des règles de vie collective, le respect de l’autorité. L’armée joue toujours ce rôle sacré de défense de l’indépendance, mais aussi de cohésion nationale. Le service militaire sera ainsi un des espaces où des jeunes sénégalais seront rassemblés par le seul fait d’être sénégalais. A l’occasion de ces moments d’intégration à la communauté nationale, les corps militaires et paramilitaires pourront repérer ceux qu’ils pourront être convoqués à nouveau, pour répondre au besoin de recrutement et de formation.

Pour ceux qui, pour des raisons valables, sont dispensés de service militaire, un service civique obligatoire sera de mise. C’est également un rendez-vous important entre le citoyen et la communauté nationale durant lequel, il sera assigné aux jeunes, une mission d’intérêt général afin de leur inculquer nos valeurs républicaines. Et toute la symbolique de l’appartenance à une même nation. A la fin de ce service, une attestation pourra leur être délivrée, laquelle attestation sera rendue obligatoire aux concours nationaux et pour tout entrepreneuriat.

A propos du financement :

 Pour le financement de ces services militaire et civique, nous avons un certain nombre de pistes. Au Sénégal, le Président de la République est le chef suprême des armées, pour la symbolique, le chef pourrait bien à défaut d’une suppression de sa caisse noire, en diminuer la dotation pour financer « l’appel » de ses concitoyens à intégrer la communauté nationale. De plus certains hauts conseils comme celui des collectivités territoriales, une « institution » budgétivore dont l’utilité reste encore floue, pourraient eux aussi être supprimés pour financer l’intégration à la communauté nationale de notre jeunesse, gage de développement de cohésion sociale, mais aussi de stabilité pour le futur.

Bibliographie :

BRAUD Philippe, Sociologie politique, éditions LGDJ, Paris ,2008

HUNTINGTON Samuel P., Qui sommes-nous ? Identité nationale et choc des cultures, éditions Odile JACOB, Paris, 2004

SABALY Hamidou « Fermeture des mosquées pour cause de corona virus : quand l’autonomie des communautés religieuses remet en cause l’autorité étatique » Mars 2020

WEBER Max, Le savant et le Politique, éditions UGE, Paris 1963

 ZUCCARELLI François, De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal – 1855-1960, In: Cahiers d’études africaines, vol. 13, n°50,  pp. 213-238.1973

[1]ZUCCARELLI, 1973

[2]  SABALY,2020

[3] Huntington, 2004

[4] WEBER,1963


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