Le rapport de la Cour des Comptes portant sur “l’Audit du Rapport sur la situation des finances publiques – Gestion de 2019 au 31 mars 2024” de février 2025 a révélé que :
Les intérêts et pénalités sur les retards de paiements ont coûté près de 22 milliards de FCFA à l’Etat du Sénégal, sur la période de 2019 à 2023. Ce montant est supérieur au budget 2025 de certains ministères comme ceux de la Fonction publique et de la Réforme du service public (7,9 Mds FCFA), du Travail, de l’Emploi et des Relations avec les Institutions (11,1 Mds FCFA), du Tourisme et de l’Artisanat (14,4 Mds FCFA). Selon la Cour des comptes, cette situation s’explique notamment par l’absence d’un suivi centralisé des échéanciers conséquence de l’utilisation d’un circuit de remboursement non prévu par la réglementation;
le solde de trésorerie au 31 décembre 2023 de 278,5 milliards de FCFA ne permettait pas de couvrir tous les engagements du Trésor qui s’élevaient à 879,15 milliards de FCFA;
des surfinancements évalués en 2021 à près de 238,24 milliards de FCFA, qui ont un coût très élevé pour le contribuable par le paiement des intérêts largement évitable pour un pour un pays en développement. De plus, le report de ces montants empruntés sur l’année suivante ne permet pas d’assurer une gestion transparente de la trésorerie de l’Etat.
Pour rappel, la trésorerie de l’Etat est constituée par l’ensemble des mouvements financiers exécutés par les comptables publics. Ces mouvements concernent tout d’abord les opérations de l’Etat au titre des recettes fiscales et non fiscales, des dépenses de fonctionnement et d’investissement ainsi que les opérations liées à la gestion de la dette publique ou de la trésorerie (émission ou remboursement de titres, paiements d’intérêts, souscriptions d’emprunts et placement des disponibilités, etc.).
La gestion de la trésorerie est une fonction vitale pour l’Etat. Comme pour tout acteur économique, honorer ses engagements à bonne date par l’État constitue l’enjeu fondamental de la gestion de la trésorerie. Elle constitue une fonction essentielle pour les entreprises, les institutions financières mais aussi les administrations publiques. Une défaillance dans cette gestion peut conduire in fine à un défaut de paiement de l’Etat, avec des conséquences financières et sociales dramatiques.
La gestion de la trésorerie de l’Etat vise à garantir la continuité financière de l’Etat, c’est-à-dire assurer chaque jour l’exécution des dépenses et des recettes, dans des conditions de sécurité maximales et au meilleur coût pour le contribuable.
Dans un contexte de crise des Finances publiques avec la rareté des ressources et des besoins sociaux croissants, la gestion efficiente de la trésorerie publique devient un impératif stratégique pour les États. Le Sénégal, engagé dans plusieurs réformes de modernisation de ses finances publiques, place au cœur de sa stratégie budgétaire l’optimisation de la trésorerie. Celle-ci consiste à assurer, en temps réel, la disponibilité des fonds publics pour faire face aux engagements de l’État, tout en réduisant les coûts liés à l’inefficacité du système.
Eu égard aux multiples enjeux d’une gestion optimale de la trésorerie de l’État du Sénégal et aux nombreuses insuffisances qui la caractérise, plusieurs leviers peuvent permettre d’en faire un outil financier majeur dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques définies dans la “Vision Sénégal 2050”.
Les enjeux d’une gestion optimale de la trésorerie publique
Dans un contexte international et sous-régional très incertain, une gestion optimisée de la trésorerie de l’État du Sénégal constitue un impératif de bonne gouvernance et de crédibilité.
Garantir la solvabilité de l’État à court terme
Une trésorerie bien gérée permet à l’État de faire face à ses obligations (paiement des salaires, règlement des fournisseurs, remboursement de dettes) sans recourir à des financements coûteux ou à des retards de paiement.
Réduire les coûts de financement
L’optimisation permet de limiter le recours à l’endettement de court terme (bons du Trésor, avances BCEAO), souvent onéreux, en anticipant les besoins de liquidités à travers une programmation rigoureuse.
Améliorer la prévisibilité et la crédibilité budgétaire
Une trésorerie bien maîtrisée renforce la confiance des partenaires techniques et financiers, améliore la notation souveraine du pays, et favorise une exécution plus fluide du budget de l’État.
2. Les limites du système actuel au Sénégal
Le système actuel de gestion de trésorerie du pays présente plusieurs limites qui rendent difficile la mise en œuvre des politiques publiques.
Une fragmentation des comptes publics
La multiplicité des comptes bancaires détenus par les organismes publics et privés empêche une vision consolidée des disponibilités. Cela freine la mise en œuvre d’un compte unique du Trésor (CUT).
Une faible automatisation des prévisions de trésorerie
Les prévisions de trésorerie de l’État du Sénégal sont souvent manuelles, peu fiables, basées sur des données incomplètes. Il en résulte une incapacité à anticiper les tensions de liquidité.
D’ailleurs dans son rapport définitif portant sur “l’Audit financier de la dette publique, Gestion 2018 à 2020”, la Cour des comptes a relevé des discordances sur l’encours de la dette publique entre la Trésorerie générale et la Direction de la Dette Publique (DDP). Ces discordances sont dues en partie à des insuffisances sur le système d’information et le cadre comptable ainsi que des difficultés au niveau du dispositif de suivi. Elle recommandait au :
Ministère des Finances et du Budget, en relation avec le Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération, de veiller à la mise en place d’un système intégré sur la dette publique ;
Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor de prendre les mesures appropriées pour une gestion directe du logiciel DAIDA par ses services.
Enfin dans ce même rapport, la Cour des comptes a également relevé que la DCEF et la DODP qui interviennent dans la gestion des prêts projets ne disposaient pas encore de système d’information. Leurs opérations étaient suivies dans des fichiers Excel et les informations étaient transmises manuellement à la DDP avec des risques d’erreurs, entraînant des difficultés dans le suivi des engagements de l’Etat et du stock de la dette publique.
Une coordination très insuffisante entre les différents acteurs budgétaires
La DGCPT, la DGID, la DGB, et les ordonnateurs travaillent souvent en silos, avec peu de partage d’informations. Cette désarticulation pénalise le pilotage quotidien cohérent de la trésorerie.
La gestion actuelle a un coût élevé pour l’économie nationale
Les pénalités et intérêts sur les retards de paiement ont coûté aux contribuables sénégalais près 22 milliards FCFA de 2019 à 2023; soit en moyenne 4,4 milliards FCFA par année. Ce montant est équivalent au coût de la rénovation du stade Léopold Sédar Senghor. Sur une période plus longue, ces pénalités pourraient représenter des dizaines de milliards de FCFA.
D’autres coûts indirects liés aux insuffisances de la gestion de trésorerie ont des conséquences désastreuses sur les entreprises sénégalaises. Les retards de paiements ont des impacts négatifs sur les chantiers en cours, les fonds de roulement, les projets d’investissement, sur l’emploi. Pour y faire face, les entreprises ont recours à des emprunts bancaires engendrant des coûts additionnels (les intérêts par exemple). Elles sont souvent obligées de recourir à la corruption à travers des intermédiaires qui leur permettent d’être payés dans des délais raisonnables. Les retards des paiements des salaires de certains agents pèsent lourdement sur la consommation des ménages et donc sur la demande intérieure des ménages adressée aux entreprises.
3. Les différents leviers efficaces d’optimisation de la trésorerie publique
Plusieurs réformes peuvent permettre une gestion moderne, efficace et transparente de trésorerie de l’État du Sénégal.
La mise en place effective du Compte Unique du Trésor (CUT)
Le CUT permet de centraliser les fonds publics dans un seul compte, assurant une gestion plus efficiente et transparente des disponibilités. Cela nécessite de rapatrier les comptes satellites et d’instaurer un système d’autorisation de dépenses délégué.
La digitalisation et la modélisation des flux de trésorerie
L’utilisation d’outils numériques de prévision et de suivi en temps réel des encaissements et décaissements (tableaux de bord dynamiques, outils BI, logiciels de gestion intégrée, des modèles statistiques avancés ) est indispensable.
Le renforcement de la coordination interinstitutionnelle
La mise en place d’un Comité de Trésorerie inter-directionnel avec une cellule de veille quotidienne permettrait une meilleure cohérence entre mobilisation des recettes, engagements et paiements. Ce comité peut prendre la forme d’un service à compétence nationale pour gérer la dette et la trésorerie de l’État. Elle serait rattachée à la Direction générale du Trésor.
Conclusion
L’optimisation de la gestion de la trésorerie est un pilier central pour la performance financière de l’État sénégalais. Elle conditionne la soutenabilité budgétaire, la maîtrise de l’endettement et la qualité de l’exécution des politiques publiques. Cependant, sa réussite dépendra de la capacité à moderniser les outils de pilotage, à renforcer la coordination des acteurs, et à instaurer une discipline budgétaire rigoureuse. Dans une perspective plus large, cette réforme contribue à la crédibilité et à l’efficacité de l’action publique, en inscrivant le Sénégal dans une dynamique de bonne gouvernance financière.
M. Sékou SONKO, Inspecteur divisionnaire des Finances publiques, membre du MONCAP France
M. Diaoula SADIO, Ingénieur Statisticien Economiste, membre du MONCAP France