Les pièges de la rupture

La conquête du pouvoir est une chose, son exercice en est une autre. C’est dans l’exercice du pouvoir que doit se révéler la cohérence d’un projet politique et la fidélité à ses engagements de départ. Depuis l’accession au pouvoir de notre parti PASTEF, nombreux sont ceux qui, comme moi, observent avec lucidité les premiers pas de l’exercice étatique et s’interrogent jour après jour, semaine après semaine, mois après mois : où en sommes-nous de la rupture avec l’ancien système ? La rupture véritable ne consiste pas seulement à changer les visages, mais à transformer les logiques, à déconstruire les schémas anciens, à couper définitivement le cordon ombilical avec le système en place et à maintenir le lien organique avec le peuple. Or, un certain nombre de dérives et de signaux lourds de sens nous laissent penser qu’on pourrait se retrouver piégé dans les rouages d’un système qu’on s’était pourtant juré de renverser.

I. La dépossession stratégique, quand l’appareil d’État échappe aux porteurs du projet

La rupture qui a mené PASTEF au pouvoir en mars 2024 est le prolongement historique d’une lutte vieille de plusieurs générations allant du président Mamadou Dia jusqu’au président Ousmane Sonko. Elle s’inscrit dans le sillage des grandes résistances, des luttes contre la colonisation, contre le néocolonialisme, contre la mainmise d’un système arrimé aux intérêts des puissances étrangères. Et pourtant, malgré cette victoire révolutionnaire, l’exercice du pouvoir ne reflète pas encore et totalement cette profondeur historique. La gestion actuelle du pouvoir est perçue comme une continuité, une simple alternance, alors qu’elle devait incarner une vraie refondation de l’État. On ne sent pas tellement la différence entre cette rupture et les régimes précédents. Cela est directement lié au fait que l’appareil administratif et les leviers régaliens de l’État ne sont pas aux mains de ceux qui portent la vision du changement et de la rupture.
Le rythme du changement est presque cassé. Les marqueurs de la rupture deviennent de moins en moins visibles et programmés. Comme le rappelle la base militante « Il n’y a pas encore de signal fort qui montre que le système est réellement en train de sauter », ce qui freine la révolution et la patine dans l’engrenage d’une continuité “technocratique” avec des soi-disant “homme d’État”, “commis de l’État”, “technocrate”, ces termes ringards qui mettent une chape de plomb sur toute volonté de rupture.

II. De la base oubliée aux élites déconnectées

La révolution n’a pas été gagnée par les urnes uniquement. Elle a été gagnée dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les quartiers, au prix du sang, de la prison et du silence imposé. Près de 80 morts pour la cause, plus de 2 000 prisonniers politiques et des militants sacrifiés, torturés et humiliés. Le peuple a payé le prix fort. Et aujourd’hui, beaucoup ressentent un écart entre cette base militante et les nouvelles autorités. Des camarades aux affaires devenus inaccessibles, silencieux, absents aux réunions de parti et détachés de la dynamique populaire. La promesse de rupture ne peut être portée par une élite déconnectée de sa matrice. On sent un peu l’abandon des outils de conquête : influenceurs du projet, sentinelles numériques et propagateurs du projet. Tandis que les ennemis de la rupture occupent le terrain, les patriotes digitaux, les sentinelles du projet, les influenceurs qui ont popularisé l’idéologie de transformation sont parfois délaissés et ignorés. Le parti se doit de leur fournir les moyens financiers, techniques et logistiques pour continuer et améliorer l’excellent travail qu’ils abattaient avant. Ils ont toujours été le fer de lance de la conquête. C’est ce qui nous a valu d’ailleurs le surnom de “parti politique des réseaux sociaux” pour se moquer de nous. Le Sénégalais lambda ne lit pas un PDF ministériel, il préfère regarder une vidéo virale. Il ne déchiffre pas un tableau Excel de politiques publiques, mais il ressent la chaleur d’un discours porté par quelqu’un qui lui ressemble. Revenons à nos moutons !
Pendant que des réformes de fond sont initiées dans le silence, l’espace public est saturé par des “chronopposants”, des escrocs médiatiques et anciens bénéficiaires du système, qui détournent l’attention de l’opinion. Et si le rythme de la transformation est si peu perceptible, c’est aussi parce que le système utilise la confusion pour casser l’élan.

III. Reprendre l’initiative et redonner vie au projet

Le discours du président du parti PASTEF, Ousmane Sonko, n’est pas un simple rappel à l’ordre. C’est un acte de remobilisation révolutionnaire. Il redonne souffle, il ravive la mémoire du combat, il appelle à la reconquête de l’appareil, du terrain, de la base. Il remet le chronomètre de la rupture à zéro. La rupture ne se délègue pas, elle s’incarne ou elle échoue. On a été élu sur la base d’une offre politique claire : une rupture radicale avec le système. C’est cela que le peuple attend. Non pas un pouvoir tranquille, mais une rupture visible, palpable, sentie dans la chair du peuple. Si le rythme est cassé, alors il faut le réparer. Si le projet est ralenti, alors il faut le relancer. Mais jamais l’abandonner. Car oui, la rupture est un combat permanent. Et un parti politique qui cesse de faire de la politique devient la proie du système qu’il croyait avoir vaincu.
Il est temps de se ressaisir chers camarades, de resserrer les rangs, de réactiver nos bases militantes et de reconstruire la dynamique originale du PROJET. Et le système, qu’il le veuille ou non, sautera inchalla.

Djibril DIENG
Coordonnateur de Pastef Bretagne
Membre du bureau de l’AG PASTEF FRANCE

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