jeudi 25 avril 2024
Contributions

Décès de Cheikh Béthio Thioune : Leçons de choses

Triste fin que celle de l’épisode « Béthio ». Le fait d’avoir fait traîner l’affaire, par pur calcul politicien surtout, s’est révélé désastreux en définitive. Et, c’est le mis en cause qui, visiblement, semble avoir fait, en quittant ce monde, un pied de nez aux politiciens calculateurs et aux juges zélés.

Ça a tout l’air d’un « Vous avez ourdi votre plan de liquidation mais vous ne m’aurez pas ».

La haine pour une personne ne doit pas nous inciter à être injuste avec elle. Il y a un danger quand la justice est instrumentalisée et quand la petite politique prend en otage les institutions d’un pays.

Dommage par ailleurs pour ce qui s’est passé à l’ISJA (Institution Saint Jeanne d’Arc), à la veille, étrangement, d’une modification importante de la Constitution du pays.

C’était une épreuve. N’est-ce pas que les Sénégalais vantent partout l’exception sénégalaise? Eh bien, de temps en temps, le vivre-ensemble sera éprouvé, les particularismes titillés, pour jauger la solidité de l’édifice. Mais ce pays a tellement de ressources forgées au cours du temps, qu’il peut venir à bout de toute tentative de déstabilisation de la part de « forces obscures ».

Il s’agissait de voir en l’espèce si une décision prise par deux ou trois personnes à l’intérieur d’un bureau climatisé, pouvait entamer un vivre-ensemble multiséculaire.

Les « fractures coloniales » ne sont pas totalement guéries. La « rationalité coloniale » est toujours à l’œuvre malheureusement. L’événement de l’ISJA le montre bien.

Dès 1834, le fondateur de l’institut de Ploërmel au Sénégal, le Français, l’abbé Jean-Marie de La Mennais, ne voulait pas du mélange entre élèves chrétiens et musulmans. Tous les événements ultérieurs montrent la difficulté pour l’administration coloniale de scolariser les enfants musulmans, dont les parents résistaient pour la plupart au projet d’assimilation. C’est seulement en 1902 que l’administration coloniale ordonna aux « frères » d’autoriser les musulmans à rester dans la cour de récréation pendant la récitation des prières et du catéchisme. Avant, on avait même droit à des conversions forcées. Le zéle forcené du frère Eutyme est connu à Saint-Louis.

D’un autre côté, les musulmans multipliaient les projets de « daaras » que l’administration voulait minutieusement contrôler. 27 écoles coraniques sont dénombrées à Saint-Louis en 1854. En 1899, leur nombre passait à 99 ! L’administration tarda à comprendre que l’école coranique n’était pas l’équivalent des classes « laïques ». En plus de l’enseignement religieux, on y forgeait aussi et surtout le caractère. Ce fait dérouta pendant longtemps les administrateurs coloniaux.

Ce fut donc une confrontation perpétuelle.

Évidemment, dans une affaire comme celle de l’ISJA, le danger c’est de réagir en tant que musulman, chrétien ou même ceddo convaincus. Il faut plutôt arborer son habit de Sénégalais tout court. Du haut de cette stature, notre esprit devient fécond et nous ne voyons plus que l’intérêt général.

Même chose en cas de « chicane » entre partisans de confréries. Dans ce cas, mettre de l’avant sa casquette de musulman tout court. Entre « ethnies », brandir sa parenté nationale et même continentale. Cela requiert évidemment une certaine ascèse intellectuelle.

Dire, en pareille situation, que les élèves qui ne sont pas contents n’ont qu’à aller voir ailleurs, n’est pas conforme à l’intérêt général. Cela favorise le repli et la création de ghettos. Les communautés se font alors face, prêtes pour la confrontation.

Une école sénégalaise réconciliée avec elle-même, qui irait à l’encontre de la « rationalité coloniale », inclurait les élèves de toutes les obédiences, dispenserait au besoin un enseignement religieux adapté à chaque communauté. Au bout, elle ne produirait que des Sénégalais conscients de leur sénégalité et de leur africanité.

La ruée vers les écoles privées est un échec de l’école publique.

Une fois que les responsabilités sont situées, il importe de reconnaître que les majorités ont l’obligation de protéger les minorités. En tout cas, pour les musulmans, une tradition attribuée à leur prophète dit ceci : « Les chrétiens sont mes alliés et sont assurés de mon soutien contre tout ce qui les indispose… Les musulmans doivent se battre pour eux si besoin est…Leurs églises sont sous la protection des musulmans… Nul musulman ne doit violer cette alliance jusqu’au Jour du Jugement Dernier. »

Khadim NDIAYE

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