lundi 29 avril 2024
Contributions

Ce que nous apprend la crise économico-politico-militaire sur le capitalisme russe

La mutinerie d’une partie de la « société de sécurité Wagner » s’est soldée en moins de 24h par un accord qui envoie le patron Prigojine en Biélorussie, le retour dans l’est de l’Ukraine d’une partie et l’intégration dans l’armée russe d’une autre. Estimés à 8000 sur 25000, les mutins armés ont fait l’objet d’une condamnation unanime des autres « sociétés de sécurité » privées, de l’État-major de l’armée, des gouverneurs de régions, des parlementaires, y compris du Parti Communiste (KPRF), seconde force politique après Russie Unie du président de la Fédération de Russie.

Les espérances des impérialistes Us-Otano-UE de déstabilisation de l’armée russe engagée dans « l’opération spéciale » au profit de la « contre-offensive » du régime nazi d’Ukraine ont fait long feu. En effet, les médias Occidentaux ont pendant quelques heures vanté « l’insurrection », « le coup d’état », « la marche de la justice » avant de reprendre en écho la déception exprimée par le bourgeois Mikhaïl Khodorkovski, « l’ex-oligarque russe » réfugié à Londres, selon laquelle a été ratée « une occasion unique… L’ampleur des dégâts subis par le régime est fantastique. Les négociations avec l’Ukraine, si elles commencent, partiront d’une position beaucoup plus faible. L’autonomie de l’armée, et donc sa capacité de combat, sera considérablement réduite. L’opposition devra tirer certaines conclusions… Si la guerre ne se termine pas, une nouvelle insurrection ne tardera pas à se produire. Les tâches sont claires. Nous allons nous mettre au travail ». La mutinerie de Prigojine et la « contre-offensive » du régime nazi pro-Us-Otan-UE d’Ukraine apparaissent ici comme deux faces de l’agression Otanienne contre la Russie bourgeoise.

Mais elle interpelle aussi le prolétariat, les classes laborieuses et les peuples opprimés sur l’avenir capitaliste ou socialiste de la Russie ?

Les contradictions internes à la bourgeoisie russe

Alors que les bourgeoisies impérialistes Occidentales se préparaient à sabrer le champagne de la défaite du camp socialiste d’Europe et de la restauration du capitalisme en URSS suite au lancement par Gorbatchev de la « glasnost et de la perestroïka », beaucoup de communistes social-démocratisés en Occident et dans le Tiers-Monde s’illusionnaient sur « la révolution démocratique dans la révolution ». Nous étions dans les années 89/91 consécutives aux décennies de révisions du Marxisme-Léninisme, c’est-à-dire d’adaptation de droite et de gauche du communisme à la social-démocratie et d’abandon de la stratégie révolutionnaire anticapitaliste et anti-impérialiste qui fut gagnante en 1917 (URSS), en 1949 (Chine), en 1953 (Corée), en 1959 (Cuba), en 1975 (Vietnam).

Un voile aveuglant fut ainsi jeté sur la privatisation-appropriation des entreprises socialistes en URSS et dans tous les pays du camp socialiste d’Europe au profit des Multinationales US/UE et des nouveaux bourgeois issus des partis communistes à la tête des Etats du camp socialiste d’Europe qui se sont scindés en trois catégories : les compradores, c’est-à-dire la bourgeoisie d’affaire ayant lié son sort aux Firmes impérialistes occidentales, celle qui a opté pour un capitalisme privé national et la bourgeoisie bureaucratique voulant préserver un capitalisme d’état.

C’est ce processus de différenciation dans l’appropriation privée des moyens de productions et d’échanges et dans « l’accumulation primitive » du capital qui va produire le « statut d’oligarque à la fortune personnelle de 1,2 milliard de dollars sur plus de 250 milliards de chiffres d’affaires de Wagner » de Prigojine, de Mikhaïl Khodorkovski et tant d’autres. Ce sont ainsi des centaines de milliards de dollars pillés depuis la privatisation de l’économie soviétique qui ont été placés dans les banques des pays impérialistes qui sont actuellement volés dans le cadre des sanctions-blocus contre la Russie bourgeoise.

Pour faire croire à une différence de nature et duper le prolétariat et les peuples, les impérialistes ont médiatiquement imposé le concept « d’oligarque » afin de distinguer les capitalistes « normaux » (sic!) d’Occident impérialiste avec les capitalistes « anormaux » (resic!) des ex-pays socialistes d’Europe et d’URSS. Il suffit de se rappeler le film « Le Parrain » pour voir comment les bourgeois italiens furent souvent réduits à la « mafia », notamment aux USA avant qu’ils ne soient intégrés au capital impérialiste Yankee dominé par les Anglo-saxons. Il s’agit tout simplement d’une opération culturaliste idéologique essentialiste pour cacher la parenté de classe, quant au fond, entre les bourgeoisies de tous les Etats impérialistes.

En fait, si les rapports entre les bourgeoisies et l’État bourgeois ont partout un même contenu de classe, ils se distinguent par des formes nationales qui sont façonnées par l’histoire singulière de chaque pays. Toutefois, partout la domination de classe de la bourgeoisie s’exerce par le biais du lobbying, en d’autres termes l’achat et la corruption des gouvernants par les capitalistes qui détiennent le pouvoir économique. C’est ce que Lénine résume ainsi en citant Engels : « Dans la république démocratique, poursuit Engels, « la richesse exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant plus sûre », à savoir : Premièrement, par la « corruption directe des fonctionnaires »… Deuxièmement, par ‘’l’alliance entre le gouvernement et la Bourse’’… Aujourd’hui, dans les républiques démocratiques quelles qu’elles soient, l’impérialisme et la domination des banques ont « développé », jusqu’à en faire un art peu commun, ces deux moyens de défendre et de mettre en œuvre la toute-puissance de la richesse » (L’État et la Révolution).

C’est ainsi qu’aucune sphère de l’État, voire de la société et des relations internationales sous le capitalisme impérialiste – gouvernement, parlement, justice, médias, religion, etc – n’échappe comme l’enseigne Engels au fait que « L’État… est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement; il est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de « l’ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État ».

En Russie, la lutte entre ces différentes fractions bourgeoises a pour objet le contrôle à son profit du pouvoir d’État.

De l’État compradore à l’État national bourgeois

Une des caractéristiques fondamentales du capital est la concurrence qui engendre le monopole sans jamais éliminer totalement la rivalité inter-bourgeoise.

Renégats opportunistes embourgeoisés soviétiques et bourgeoisies impérialistes du camp capitaliste unis pour liquider l’URSS allaient, une fois cela obtenu, se scinder en vautours rivaux dans le « partage » du gâteau soviétique. La résistance tardive mais réelle des communistes et des classes laborieuses allaient être écrasée par une offensive sauvage du libéralisme pilotée par les « experts en privatisation » US et UE au profit des entreprises monopolistes occidentales.

Le pouvoir de Eltsine, une fois Gorbatchev jeté comme un kleenex, représente cette période « de servilité et d’humiliation » du peuple russe. C’est pour mettre fin à cette colonisation économique que s’opéra l’alliance entre capital national privé et bourgeoisie bureaucratique par l’arrivée de Poutine au pouvoir. En effet, la bourgeoisie bureaucratique d’État est concentrée dans les forces de défense et de sécurité (armée, services secrets, administration, etc).

Seule l’avidité du profit maximum immédiat a fait perdre de vue aux impérialistes le fait que les 70 ans ans de socialisme réel ont doté les peuples soviétiques d’une haute culture, d’un haut niveau d’instruction, de savoir scientifique, technique, artistique, sportive, etc qui rendent impossible à moyen et long terme une soumission néocoloniale. Le court terme a duré une quinzaine d’années couvrant la période allant de l’arrivée de Gorbatchev en 1985 à la fin du règne de Eltsine en 1999/2000, juste le temps de restaurer le capitalisme en URSS et dans le camp socialiste d’Europe.

Econduite par l’impérialisme occidental, la Russie bourgeoise s’est peu à peu débarrassée de ses illusions sur « une entente intégration à l’amiable dans la mondialisation capitaliste » qui s’était soldée par sa brève participation au G8, redevenu G7. Pendant ce temps la marche offensive vers ses frontières de l’OTAN/UE n’a cessé de s’accélérer contraignant la bourgeoisie russe à opérer des interventions défensives en Géorgie, en Syrie, en Centrafrique, au Mali à l’appel des gouvernements légaux et en Ukraine à l’appel des populations martyres du Donbass et de Lougansk.

Mais l’État national bourgeois russe demeure assujetti à l’influence des lobbys patronaux nationaux et impérialistes en période de « mondialisation » de la crise générale de surproduction et de sur-accumulation du capitalisme-impérialiste. Dans tous les pays capitalistes, y compris les pays dépendants et néo-colonies, le capital national privé est lié à l’État national par mille fils officiels et non officiels touchant quasiment tous les domaines et secteurs d’activités comme n’ont jamais cessé de le démontrer les Communistes.

Les forces de défense et de sécurité de la Russie bourgeoise n’y échappent pas. Selon les intérêts du moment apparaissent des contradictions entre l’État national et les secteurs privés. En refusant l’intégration dans l’armée nationale, la mutinerie organisée par Prigojine pour sauver ses profits n’en est qu’un exemple. Aucun Etat capitaliste n’est à l’abri de ce type de conflits inhérents au système de lobbying des concurrents économiques comme moyen d’influer et de contrôle de l’État bourgeois.

Le phénomène prédateur propre au capitalisme bien connu de marchandisation et de privatisation de tout sur fond de concurrence se généralise ainsi à l’époque de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. L’externalisation et la sous traitance de la guerre est partie prenante de la chasse au profit maximum. Il y a donc une tendance contemporaine capitalistique à privatiser la guerre comme le montrent les agressions barbares Otaniennes en Irak, Afghanistan, Yougoslavie, Libye, Sahel sous le prétexte fallacieux « de l’ingérence humanitaire ou/et de la guerre contre le terrorisme ».

L’Afrique a intérêt au multilatéralisme qui met fin à l’unilatéralisme de l’Occident global

L’avènement des BRICS est l’expression de la volonté des bourgeoisies russe, indienne, brésilienne, sud africaine ainsi que des pays rescapés du camp socialiste que sont la Chine, le Vietnam, la Corée du Nord, Cuba de remettre en cause l’hégémonie séculaire sur le monde des USA/UE/OTAN.

La guerre défensive de la Russie bourgeoise en Ukraine a été l’occasion d’une résistance de plus en plus visible au chantage US/UE selon lequel « si tu es avec moi, tu es chouchouté ou si tu ne l’es pas, tu es sanctionné, voir bombardé ».

Effrayés par le crime subi par Khadafi, même les chefs d’Etats des néo-colonies africaines, qui nous ont pourtant habitués à une servilité apatride atavique, commencent à prendre quelques distances avec les impérialistes.

Le système de la domination impérialiste craque de toutes parts. Le commerce en monnaies nationales dé-dollarise l’arnaque imposée par les usuriers US qui font payer au monde entier leur colossale dette libellée dans leur monnaie nationale, le dollars.

Le franc colonial CFA est contesté d’autant plus que la Chine Communiste est devenue le premier partenaire commercial, prêteur d’argent et investisseur. La françafrique, l’eurafrique et l’usafrique ont des plombs dans leurs tentacules spoliatrices.

La jeunesse africaine, condamnée jusqu’ici à suivre le chemin pris par les matières premières pillées par l’oppression néo-colonie au risque de mourir dans le désert ou dans la mer, s’oriente de plus en plus vers la recherche d’une vie meilleure, non plus dans l’illusoire eldorado européen ou états-unien, mais ici en Afrique.

Certaines fractions de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie africaine redécouvrent les vertus du patriotisme libérateur et les apports progressistes de la première phase de libération anti-coloniale.

Les classes laborieuses tardent encore à se débarrasser de la laisse tenue par les renégats opportunistes de l’ex-gauche politique et syndicale, mais un mouvement en profondeur est en cours dans ce sens.

La seconde phase de la libération de l’Afrique s’opère par la redécouverte progressive du compter sur ses propres forces, du patriotisme, du panafricanisme.

L’Afrique doit saisir l’opportunité de l’avènement en cours du monde multilatéral comme facteur contributif à sa marche vers la rupture avec l’oppression impérialiste, étape dans la longue marche vers le pouvoir des classes exploitées.


Besoin de retourner à l’avenir communiste

Les impérialistes sont passés de la jubilation à l’inquiétude face à leurs échecs devant la résistance de la Russie bourgeoise, des rescapés du camp socialiste (Chine, Vietnam, Corée du Nord, Cuba, Laos), des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) bientôt rejoints par des dizaines d’autres pays qui rejettent à juste titre la tyrannie prédatrice des diktats du dollars, des plans libéraux du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC et du chantage des sanctions, des blocus et les guerres de pillage, bref l’hégémonie séculaire de « l’Occident global ». La pandémie du covid a montré la faillite de la « globalisation » libérale impérialiste.

L’humanité est grosse de la nécessité du socialisme, première étape du communisme.

Si en Russie bourgeoise, l’affrontement entre bourgeoisies compradore et nationale est à la faveur de la seconde, la bourgeoisie bureaucratique d’État subit aussi les contrecoups de ce que Engels appelait la « corruption directe des fonctionnaires » et « l’alliance entre le gouvernement et la Bourse ».

Cette contradiction interne inter-bourgeoise multiforme et protéiforme pose la question cruciale du patriotisme comme facteur de démarcation au sein de la bourgeoisie et dans toutes les classes sociales exploitées et au sein de la société dans son ensemble.

Est donc salutaire, l’unité nationale solidaire écrasante du peuple russe avec la guerre défensive de la Russie bourgeoise en Ukraine. Les internationalistes et les démocrates pacifistes doivent condamner fermement les fauteurs de guerres impérialistes de l’OTAN/UE, de « l’Occident collectif ».

Mais les limites à terme de la bourgeoisie nationale russe apparaissent aussi dans cette crise politico-économico-militaire en son sein et dans l’existence en Russie de poches relativement importantes du socialisme : kolkhozes, entreprises d’état, partis communistes au nombre de trois et qui constituent la seconde force politique parlementaire du pays. C’est donc du côté du prolétariat et des classes laborieuses que sera trouvé à terme le chemin du retour à l’URSS véritable condition du salut national et social soviétique.


Diagne Fodé Roland
29/06/2023

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x