Sauvons la filière de l’anacarde à l’agonie (Par Mohamed Badji)
Lors du conseil interministériel dédié à la campagne de commercialisation agricole du mardi 26 novembre 2024, le Premier Ministre Ousmane SONKO a donné des instructions aux ministre de l’Environnement et de la Transition Ecologique, en relation avec le ministre de l’Industrie et du Commerce, pour
- Préparer un plan de formalisation, de professionnalisation et de capitalisation de la valeur ajoutée de la filière anacarde au plus tard le 31 janvier 2025
- Etudier les conditions, le nombre, la capacité des usines de transformation de la noix d’anacarde mises en place par les nationaux.
Nous encourageons cette belle initiative et sommes disponibles à travailler avec le gouvernement afin de l’accompagner à atteindre ses objectifs. Nous souhaitons donner notre contribution en tant qu’acteur de la filière de l’anacarde.
En effet, l’anacardier est introduit au Sénégal dans un souci de renforcement des forêts ou de protection des terres. Les aspects économiques de cette culture n’ont intéressé les populations qu’avec l’arrivée des exportateurs indiens vers les années 1990. Depuis cette période, la filière est en cours d’organisation avec différents acteurs dont les principaux sont : les agriculteurs planteurs, les collecteurs, les commerçants, les transporteurs et les exportateurs. Depuis 1973, des programmes de développement de l’anacardier ont commencé à voir le jour au Sénégal. A noter ainsi, la création de la société de décorticage des Noix d’Anacarde du Sénégal (SODENAS) et le Projet Anacardier Sénégalo-Allemand (PASA) avec comme objectif d’accompagner le développement de la culture de l’anacardier.
La filière cajou du Sénégal a plusieurs composantes. Elle est laissée à elle-même créant une concurrence déloyale entre les acteurs, un marché de l’export dominé par les étrangers, très peu de coopératives de producteurs et beaucoup d’intermédiaires dans la chaine.
Parmi les acteurs, il y a :
Les producteurs, les grossistes autofinancés, Les transformateurs, les pisteurs mobiles, Les Coopératives, les techniciens et experts, les pisteurs résidents ou sous-pisteurs, les groupements, Informels, Les organismes, les « Grands-Pisteurs », Les Transporteurs et les exportateurs.
Beaucoup de facteurs ralentissent l’émergence de la transformation de noix de cajou et son exportation, parmi ces facteurs :
- L’absence d’une compétence technique locale
- Le faible niveau de la compétitivité de la production locale
- L’insuffisance de l’accès aux technologies appropriées
- L’étroitesse du marché
- Les produits non certifiés
- Les problèmes d’accès au financement
- L’expérience très limitée des transformateurs
- Le manque d’organisation des acteurs de la filière
- Le soutien et l’accompagnement insuffisant de l’État du Sénégal
- Le non-respect des exigences élémentaires d’hygiène et de qualité
- Concurrence déloyale entre transformateurs et exportateurs
- Accaparement des noix par les étrangers
- Faible consommation des amandes de cajou au Sénégal
- Non maîtrise du coût de la matière première
- Absence de subventions de l’Etat
- Feux de brousse dans les plantations
- Vieillissement des vergers entrainant un faible rendement de production
- Manque de formalisation de la filière
- Manque de matériel de collecte et d’entretiens des vergers
La filière anacarde est très peu valorisé au Sénégal. Seul environs 5% de la matière première est transformé localement. Il existe environs 6 usines de transformation dont la plus grande capacité installée est de 2500 tonnes par an. Mais quasiment toutes ces usines sont fermées. Parmi les difficultés qu’elles rencontrent, il y a :
- Le financement des projets à des taux d’intérêt très élevés (10% en moyenne), comparé au pays Asiatiques ou les banques publiques bonifient les taux d’intérêt pour l’industrie du cajou.
- Manque de main d’œuvre qualifiée
- Problèmes de gestion dus au manque d’expérience des équipes de management des entreprises
- Coût de l’énergie très élevé
- Le coût des intrants et pièces de rechange élevé et difficilement accessible
- Perte de poids à la transformation due à l’achat de la noix humide et non trillée ni séchée
- Perte de rendement à la transformation due à l’achat de la noix sans mesure de qualité
- Une période d’approvisionnement très courte (3 mois), ce qui fait que les transformateurs Sénégalais ont une faible marge de manœuvre pour adapter leur prix d’achat de la matière première au prix des amandes de cajou sur le marché international
- Le coût des équipements de transformation et des installations beaucoup plus coûteux comparé en Asie
- Vétusté du matériel de transformation
- Non certification des produits transformés, et non-respect des normes dans les procédés de construction, d’installation et de transformation, ce qui rend difficile l’accès au marché international.
Nous proposons des solutions en deux phases
D’abord mettre en place un plan de redressement d’urgence (PRU) à court terme pour sauver les industries de transformation et faciliter ceux qui sont en cours d’implantation pour l’année 2025 et ensuite mettre des réformes pour une organisation à long terme pérenne et autonome.
- Proposition de solutions à court terme pour les producteurs
Les mesures suivantes pourraient être prises pour la campagne de 2025 :
- Création de coopératives de producteurs
- Interdire toute vente individuelle de la noix, seules les coopératives pourraient être habilitées à vendre la noix
- Chaque coopérative doit être située dans une zone définie pour assurer le maillage complet des zones de production
- Fournir aux producteurs le matériel pour débrousser, collecter, stocker et transporter la noix
- Recenser l’ensemble des producteurs dans un fichier informatisé, ce fichier doit contenir : identité, capacité de production, localisation, contacts, variétés de la noix, superficie du verger, nombre de personne travaillant dans le verger, inventaire du matériel, etc.
- Proposition de solutions à court terme pour les usines existantes et en cours d’implantation
Les usines existantes rencontrent plusieurs difficultés. Pour les aider à se relever il faut un plan bien structuré sur du long terme. Néanmoins, vu les urgences de l’heure, par rapport aux usines qui sont à l’arrêt, l’État peut mettre en place un plan de redressement d’urgence (PRU) pour sauver les emplois.
Le PRU sera géré au cas par cas par rapport aux difficultés de chaque entreprise.
Pour se faire, les mesures suivantes pourraient être prises pour la campagne de
2025 :
- Créer un agrément pour l’achat de la matière première à partir d’une certaine quantité
- Sécuriser la disponibilité de la matière première de qualité pour les usines de transformation
- Réguler le prix d’achat de la matière première pour sauver les usines de transformation en activité
- Réduire la dépendance vis-à-vis des acheteurs internationaux pour l’écoulement des noix brutes
- Instaurer une taxe à l’exportation d’un montant global d’au moins 100 F CFA par kilogramme de noix de cajou brute
- Octroyer une prime à la transformation de l’anacarde de 500F CFA par kilogramme d’amande blanche produite localement
- Accompagner les usines qui ont fermé leurs portes à reprendre leurs activités
- Garantir les prêts bancaires pour les sociétés de transformation existants et en cours d’implantation
- Bonifier les taux d’intérêt pour les usines de transformation de cajou
- Renforcer le système du récépissé d’entrepôt en fournissant aux usines la matière première à un prix accessible, remboursable après transformation et vente des amandes. Ce système peut être encadré en collaboration avec les banques
- Accompagner les usines dans la gestion technique, financière et commerciale
- Mettre en place les avantages des zones économiques spéciales
- Prendre les dispositions pour permettre l’exportation des amandes depuis le port de Ziguinchor vers l’Europe, l’Amérique et l’Asie.
- Faciliter la collaboration entre les transformateurs et les autres industriels qui pourraient acheter la coque de l’anacarde
- Optimiser la procédure d’étude d’impact environnemental et social pour réduire les délais et les coûts.
Pour une meilleure organisation de la filière cajou, son développement durable et sa compétitivité au Sénégal, nous devons faire une réorientation stratégique, faire des réformes de la filière. Pour cela, nous pouvons créer un organisme central, un point focal unique et autonome. On peut l’appeler par exemple le conseil national de l’anacarde (CNA). Les missions du CNA seront entre autres :
- La réorganisation de la filière et des acteurs ;
- La mise en place des réformes et le contrôle de toute l’activité de l’anacarde
- Le recensement et création de la base de données des producteurs et transformateurs ;
- Le recensement du verger ;
- La mise en place des coopératives ;
- Le mise en place de l’incubateur de formation théorique et pratique sur toute la chaine de valeur de l’anacarde ;
- L’intégration de la filière de l’anacarde dans les enseignements techniques et supérieurs
Nous reviendrons incha Allah prochainement sur un autre article pour détailler et approfondir notre proposition sur le long terme.
Nous sommes convaincus que nous pouvons développer le Sénégal et atteindre notre souveraineté alimentaire à partir des agropoles. Mettons-nous au travail.
UN SEUL MOT D’ORDRE : BUROK REK
Mouhamet BADJI
Membre commission énergie du MONCAP France
Ingénieur en énergie
Entrepreneur agro-industriel
Président CASAFRUITS SAS : Projet de transformation de noix de cajou à Ziguinchor commune ADEANE
direction@casafruits.com