mercredi 24 avril 2024
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Libre opinion sur la prétendue stabilité de l’Eco sur l’Euro

Les récentes déclarations des présidents Emmanuel Macron et Alassane faites le 20 décembre 2019 sur le prétendu passage du franc CFA à l’ECO qui va peut-être devenir en 2020 la devise des pays de l’UEMOA  et par la suite celle des 15 pays de la CEDEAO doivent interpeler plus d’un africain surtout lorsque ces deux chefs d’Etat déclarent urbi et orbi que la stabilité de cette nouvelle devise qu’est l’ECO va reposer sur l’Euro.

Cela me semble à tout le moins une pure supercherie car tous les deux n’ont donné aucun argument scientifique ni technique pour étayer leur thèse qui ne tient en réalité qu’au seul aspect politique qui est de toujours maintenir voire consolider à tout prix d’abord l’influence française et les intérêts économiques de la France et peut-être ceux de quelques pays européens comme l’Allemagne ou l’Italie en Afrique.

L’Eco ne doit avoir aucun arrimage (ni aucune relation spécifique) à l’Euro dont je souligne au passage que certains pays européens comme par exemple la Suède, la Suisse ou la Norvège  n’en veulent pas.

En effet la valeur d’une devise digne de ce nom ‘ne doit reposer que sur la confiance qu’en ont les agents économiques’ pas sur un prétendu arrimage à telle ou telle devise forte jusqu’à preuve du contraire, autrement dit tout doit être déterminé par le marché si un Etat veut maîtriser son destin.



Ainsi à mon humble avis, avec le passage à l’Eco, les pays de l’UEMOA (et au-delà ceux de l’ensemble du continent) ont une chance historique de prendre leur destin monétaire en main et ce, pour plusieurs raisons.

Nous ne sommes plus aux années 1960 où sciemment les puissances coloniales avaient sciemment exclu les africains du champ économique voire bancaire en verrouillant ces domaines pour orienter les jeunes africains beaucoup plus vers les spécialités littéraires, (Lettre Moderne, Lettre Classique, Droit etc.). Les filières liées à l’économie et la finance étaient des domaines réservés aux seuls européens.

Aujourd’hui la donne a radicalement changé car aussi bien en Afrique même qu’au sein des diasporas africaines en Europe, en Amérique du Nord ou ailleurs, les compétences pointues  existent bel et bien. Donc l’argument que peuvent avancer les partisans de la France Afrique selon lequel les Africains ne seraient pas capables de gérer leur monnaie est totalement dénué de tout fondement scientifique véridique. Leur argument est purement européocentrique et  idéologique pour continuer de s’accaparer les richesses du continent.

La politique monétaire menée par la Banque Centrale Européenne à Francfort ne fera qu’empirer la situation économique déjà très précaire des pays de l’UEMOA en paupérisant davantage les populations obligeant ainsi les jeunes à prendre des risques inconsidérés en traversant les mers et océans en quête de meilleures conditions de vie. Même à l’intérieur de la Zone euro certains pays comme la France, l’Italie ou l’Espagne ne sont pas d’accord avec une telle politique de la BCE car elle continue de créer beaucoup d’inégalités sociales et constitue un élément d’instabilité économique et sociale en Europe (Gilets Jaunes, émergences ou enracinement de mouvements d’extrême droite etc).

Quand nous regardons un certain nombre de pays africains (et dieu sait qu’ils sont nombreux qui gèrent eux-mêmes leur propre monnaie), ils sont loin d’être plus pauvres que les pays de l’UEMOA ou de la CEMAC, c’est tout le contraire car ils s’en sortent mieux que ces deux blocs monétaires créés par la France pour perpétuer ses propres intérêts en Afrique.

L’arrimage de l’Eco à l’euro pour assurer sa stabilité est une pure escroquerie intellectuelle, et un non-sens historique total. L’Afrique a aujourd’hui l’expertise dans les domaines monétaires et dispose de toutes les matières premières si l’on prend l’ensemble des pays de la CEDEAO pour amorcer la mise en place de l’Eco dont la valeur et la stabilité doivent être basées sur un panier de matières premières dont ces pays regorgent. Et cela permettra par là-même  aux pays de maîtriser efficacement l’inflation (très souvent nourrie par les matières premières), une co-gestion rigoureuse par l’ensemble des pays de ces matières premières (qu’ils en soient producteurs ou pas) et surtout une implication forte des sociétés civiles dans ce processus ainsi cela ne fera que renforcer l’intégration régionale voire continentale.

Autrement dit la valeur de cet Eco va dépendre des bonnes politiques économique et monétaire de la banque centrale ouest africaine et les cours des matières premières. Ce panier pourra comporter des matières premières comme le pétrole, le gaz, le cacao, l’or le zircon, l’uranium etc., chaque matière doit faire l’objet  d’une pondération qui peut être révisée  en fonction des stratégies des politiques économiques de la CEDEAO. Ce faisant, les pays membres auront une maîtrise absolue de leur politique économique de sorte que la spéculation internationale sur telle ou telle matière ne pourra affecter durablement l’Eco de façon négative. La future banque Centrale aura donc un levier privilégié pour maintenir la stabilité de l’Eco et sa convertibilité dans toutes les devises mondiales (si elle le souhaite).

Cela évitera de subir le dictat soit d’un Trump si d’aventure l’Eco était arrimé sur un panier de monnaies dont le dollar, ou l’euro d’un Macron très européiste convaincu.

Ce qui me rassure et me donne espoir pour un proche avenir est que les pays anglophones de la région que sont le Nigeria et le Ghana n’accepteront jamais (eux qui sont habitués à gérer par eux-mêmes leurs devises) à ce que l’Eco CEDEAO soit arrimé à l’euro.

En réalité ce que cherche Macron c’est prendre les devants sur le continent avant que les Britanniques (libres de tout engagement européen, BREXIT oblige) n’arrivent de façon pragmatique et massive sur le Continent car comme me le disait un collègue et ami britannique  conseiller d’un des ministres du gouvernement britannique,  l’Afrique reste la priorité du gouvernement du Royaume Uni en matière de business.

De plus la pandémie provoquée par le COVID 19 offre une chance historique unique à l’Afrique de couper le cordon ombilical à jamais car le nouveau monde post COVID 19 qui se dessine va accentuer la surexploitation économique, financière et sociale du continent car tout le monde sortira de cette crise très affaibli. Et comme toujours dans l’histoire, ce sera  l’occasion pour ces puissances économiques plus affaiblies de saigner à blanc le continent afin de rapidement réparer les dégâts économiques et sociaux colossaux causés par le COVID 19.

Par Lamine Bodian
Enseignant à l’Université de Lyon, en ‘International Banking & Financial Studies’
Spécialiste de ‘International Risk Management’, professeur visitant en Norvège, Allemagne, Pologne, USA, Chine, Madagascar, Maroc, Espagne…
Directeur Pédagogique des programmes internationaux ISCM/ IRM
Lyon ESDES Business School (membre de la Conférence des Grandes Ecoles en France) 


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