mardi 19 mars 2024
Le regard de Shamsdine

L’État de droit dans les labyrinthes politiques et galimatias juridiques

Sans conteste,  »le citoyen, en obéissant à la loi, n’obéit qu’à lui-même », écrivait Jean Jacques Rousseau, dans son ouvrage politique  » Du contrat social ou principe du droit politique ». Mais aussi, s’inscrivant dans une posture d’alerte Montesquieu déclarait: » c’est une expérience éternelle que toute personne qui a du pouvoir est portée d’en abuser. Il faudrait que par la disposition naturelle des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Alors, il défie l’histoire et tire la sonnette d’alarme sur les éventuelles dérives de tout pouvoir monarchique. Sous ce rapport, le juriste autrichien H. Kelsen, figure de proue du positivisme juridique considère qu’on ne peut parler d’État de droit que si les gouvernants sont responsables de leurs actes, les juges indépendants et que les citoyens se voient garantir leurs droits, soient-ils présumés coupables.

Le Sénégal, État indépendant et souverain, donc signataire des conventions internationales qui, en voie de conséquence le soumet selon la logique de la hiérarchie des normes et de l’ordre juridique, à la légalité internationale. Mais, semble-t-il, l’État, en tant qu’une personne morale de droit public, risque encore de s’accuser devant le tribunal de l’histoire. Et la portée internationale des affaires politico-judiciaires très médiatisées, communément appelées  » affaire khalifa sall » et  »affaire Karim Wade » , en sont pour le moins illustratives; même si après, des rectificatifs y ont été apportés.

Autant nos gouvernants refusaient de ravaler leur fierté et de s’incliner devant l’arrêt de la CEDEAO faisant mention des irrégularités du procès de la caisse d’avance qu’ils faisaient montre d’un entêtement inexplicable sur les constatations du comité des droits de l’homme affilié à l’ONU. Et aujourd’hui, il est avéré que l’affaire du viol dont le leader de Pastef est accusé commence, telles des charognes puantes, à exhaler des odeurs infectes de conspirations politico-judiciaires, vu les incohérences notées ça et là par les enquêteurs ; alors que la loi pénale se fonde sur un droit de la certitude, considérant qu’il est mille fois plus facile d’accuser une personne que de l’innocenter devant l’opinion publique, nous prévenait Kafka, puisque sa considération morale en est déjà portée atteinte.





Pourtant, depuis 1963, avec la première révision constitutionnelle du 7 mars suite à la crise du 17 décembre dont le Mawdo était à tort ou à raison empêtré, on assiste sans cesse à de sempiternelles réformes , en termes de modifications, de tripatouillages, d’abrogation et de changements des lois et textes réglementataires dont l’unique but devrait être de nature à consolider davantage l’État de droit, socle sur lequel repose l’édifice de la démocratie.

Alors, sous l’effet conjugué de l’habileté manœuvrière de vénaux acteurs politiques et la dextérité technicienne de certains juristes véreux; le tout couronné d’une couverture médiatique dépourvue d’impartialité encore moins de conscience professionnelle, la coupe finit d’être pleine, mais on refuse de la boire.

Or, le culte des lois est la pierre angulaire de l’État de droit.  »Sed lex dura lex », disaient les romains, mais certains compatriotes, qu’elle que soit leur posture politique, administrative ou sociale, par manque de patriotisme et à cause d’un terrible déficit de citoyenneté dont ils souffrent -attitudes couronnées d’indiscipline, de cynisme et d’hypocrisie schizophrène- n’invoquent la loi que lorsque celle-ci plaide en faveur de leurs intérêts.

Le désordre qui règne au sein de la société dont les réseaux sociaux avec leurs cortèges et légions d’écarts de conduite, d’ignorance et de manque de discernement en est un échantillon à titre d’exemple achevé, se révèle une situation incandescente dans laquelle tout le monde semble se complaire. Et le rôle des pouvoirs publics serait d’instaurer une certaine rigueur légale dans notre façon d’utiliser ces outils technologiques avec le respect des règles d’éthique et de morale publique, digne d’un État de droit. Mais, aussi bien ceux qui sont au pouvoir que ceux qui meuvent dans l’opposition y embauchant des insulteurs au grand dam du débat public qui ne peut reposer que sur les principes de civilités et du contradictoire.

Alors, autant que les citoyens n’ont pas le droit de faire tout ce qu’ils veulent dans un État de droit que les dirigeants, eux aussi, ont le devoir de s’imposer certaines conduites conformément aux règles de droit qui fondent notre république, garantissent nos libertés, nous reconnaissent certaines prérogatives et répriment certains de nos écarts.

Mais aujourd’hui, pour une sordide affaire d’accusation de viol, notre patrie est suspendue hors du temps mondial et hors de l’espace planétaire nous faisant oublier les priorités de l’heure, à cause de la régression démocratique et de la juridiciarisation du débat public.

Or, si tout État de droit n’est pas nécessairement une démocratie, toute démocratie doit être d’abord un État de droit. Et nos dirigeants, refusant de se soumettre à la légalité internationale et d’accepter les emmerdements de la démocratie, sont souvent enclins à torpiller les règles du droit interne, et manifestent honteusement leur refus de s’assujettir au culte des lois. À titre d’exemple, on peut citer le déroulement sinueux et tortueux des procédures d’enquête et de levée de l’immunité parlementaire du député accusé de viol par une jeune femme. Pourtant, dit-on, la lettre de réquisition du parquet vise X, un inconnu déjà connu, pendant que le juge d’instruction le cite nommément.

Une situation qui, en revanche, ne devrait surprendre personne, même si du reste, elle est décevante. Nos mémoires sont en effet fraîches, quand on se souvient encore qu’un ministre de la République avait catégoriquement refusé de se soumettre à une décision de justice avec la complicité d’une majorité parlementaire lui accordant  »une soit disant motion de soutien » sous la caution présidentielle lui manifestant solennellement son soutien sur une telle forfaiture judiciaire. Une véritable rébellion parlementaire doublée d’une désinvolture gouvernementale.

Pourtant, la souveraineté d’un État ne se mesure que par sa capacité à concilier harmonieusement son système juridique interne à la légalité internationale, disait Carcassonne, au nom de l’État de droit, lorsqu’on sait qu’une souveraineté est la fois internationale et interne. Il est toutefois regrettable de constater que notre république traverse assez souvent une aridité patriotique sous les ardeurs climatiques d’un incivisme béant; ce qui favorise tout le désordre politique et social.

Car, dans un pays où ceux qui sont les représentants des lois sont souvent les premiers à se donner le luxe de les violer par l’impunité, par de longues détentions préventives et parfois arbitraires, par des bavures policières, ou par le travestissement des règles de procédure judiciaire et administrative, ainsi que le tripotage des règles constitutionnelles de nature à faire triompher leurs causes; fussent-elles politiques; alors, en toute beauté, l’État de droit s’enfouit dans les labyrinthes politiques s’il n’est pas en proie aux galimatias juridiques.

À ce propos, Hypolite de Livry écrit : » Le spectacle le plus horrible et le plus vulgaire, c’est de voir violer la justice par celui qui est préposé à la protéger ».

Mansour Shamsdine Mbow, Professeur de Lettres et Chroniqueur.

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