La loi d’amnistie : Une interprétation Nécessaire

La loi d’amnistie, votée en mars 2024 par la majorité de Macky Sall, a suscité de vives controverses. Ce texte juridiquement contestable, couvre l’ensemble des faits commis entre le 1er  février 2021 et le 24 février 2025 en lien avec des manifestations ou à caractères politiques, qu’ils aient été jugés ou non.

Cependant, cette loi se révèle trop large et trop ambiguë, englobant dans son champ d’application des infractions aussi graves que :

  • La torture, interdite par la Convention internationale contre la torture de 1984, ratifiée par le Sénégal en 1986.
  • Les crimes de sang et crimes contre l’humanité, prohibés par le Statut de Rome de 1998, ratifié par le Sénégal en 1999.

La position de PASTEF sur la loi d’amnistie

Dès le départ, PASTEF ne s’est pas opposé au principe même d’une loi d’amnistie, mais a dénoncé son caractère trop large, incluant des crimes de sang et des actes de torture. Cette position a conduit les députés membres du parti à s’abstenir lors du vote de la loi à l’assemblée.

Fidèle à la logique et à ses engagements, Pastef avait promis pendant la campagne électorale de mars 2024, de revenir sur cette loi, afin de faire la lumière sur les crimes commis durant cette période. Aujourd’hui le débat ne porte plus sur le maintien ou pas de la loi d’amnistie , mais sur la manière de la réviser :

  • Abrogation totale ?
  • Abrogation partielle ?
  • Interprétation et clarification du texte ?

 C’est dans ce cadre que l’honorable député de Pastef, Monsieur Amadou BA, a proposé une loi interprétative visant à préciser le champ d’application de la loi d’amnistie et à en exclure expressément les crimes de sang et les actes de torture.

Pourquoi une loi interprétative et non une abrogation ?

L’abrogation d’une loi consiste à la supprimer pour l’avenir. Cependant, elle  n’a pas d’effet rétroactif,  ce qui signifie que les procédures judicaires ( comme  par exemple celles entreprises par Pape Abdoulaye Touré et Dame Mbodj) seraient définitivement et immédiatement annulées créant ainsi une situation d’impunité et d’injustice.

A l’inverse, une loi interprétative clarifie et précise une loi existante sans créer de nouvelles règles. Elle est considérée comme faisant corps avec la loi qu’elle interprète, et s’applique donc rétroactivement depuis la date d’entrée en vigueur de la loi initiale, ici en mars 2024.

La loi interprétative repose sur un principe fondamental du droit : celui du  respect de la légalité criminelle,  principe en vertu duquel en droit pénal, on ne peut  être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair :  en latin , « Nullum crimen, nula pœna  sin lega »  qui veut dire qu’ il n’y a aucun crime, aucune peine sans loi.

De ce fait une loi doit être claire, précise et intelligible, faute de quoi elle peut entrainer :

  • Une insécurité juridique, si son interprétation est laissée à la subjectivité des juges.
  • Des détournements de la loi, notamment par une interprétation abusive ou extensible de son champ d’application.

Les fondements juridiques de la loi interprétative

Cette exigence de clarté de la loi repose sur plusieurs principes juridiques majeurs :

  • L’intelligibilité et l’accessibilité de la loi consacrés par l’article 7  de la Constitution du Sénégal ( égalité des citoyens devant la loi) , ainsi que par les articles 1, 7 , 8 , 10 de la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH).  Ils imposent au législateur d’adopter des   textes précis et compréhensibles pour éviter toute insécurité juridique et tout risque d’arbitraire.
  • L’interprétation stricte de la loi pénale : ce principe protège les citoyens contre le pouvoir discrétionnaire du juge. Il impose que la loi soit appliquée exactement comme elle est rédigée,  sans élargissement ni restriction par analogie.

Une loi d’amnistie floue et juridiquement contestable

La loi d’amnistie de mars 2024, dans sa rédaction actuelle est ambiguë et imprécise, ouvrant la porte à des interprétations divergentes et d’éventuelles contestions judiciaires. Son  champ d’application mal défini,  risque d’établir un précédent judiciaire dangereux et une jurisprudence problématique.

De plus elle est manifestement illégale car elle inclut dans son champ d’application des infractions prohibées par le droit international, notamment la torture et les crimes contre l’humanité, d’où cette proposition de loi interprétative.

Objectifs de la loi interprétative proposée par PASTEF

Cette proposition de loi interprétative vise à :

  • Corriger les lacunes du texte initial pour éviter les abus d’interprétation.
  • Aligner la loi d’amnistie avec les engagements du Sénégal en droit international.
  • Garantir la clarté et la précision de la loi, pour éviter toute dérive judiciaire.
  • Conserver son effet rétroactif, sans pour autant couvrir des crimes graves.
  • Encadrer strictement son application pour éviter toute instrumentalisation politique.

La proposition de loi interprétative (proprement dite)

Son article premier, tel que présenté par l’honorable Amadou Ba,  stipulait que «   sont amnistiés de plein droit tous les faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle ayant exclusivement une motivation politique ».

Cette proposition a fait l’objet de nombreuses critiques, manipulations et interrogations,  beaucoup craignant que cette formulation permette à des auteurs de crimes graves d’échapper à la justice en invoquant la motivation politique.

C’est d’ailleurs face à ces critiques que le député GUY Marius Sagna avait proposé un amendement excluant explicitement  les «  crimes de sang, les actes de torture et les traitements inhumains »,  amendement qu’il a par la suite retiré au profit de celui proposé par son homologue Amadou Ba qui stipule :  «  quiconque commet un crime de sang, meurtre ou assassinat, des actes de tortures, des traitements inhumains et dégradants, ne bénéficiera pas de la loi d’amnistie ».

Conclusion

Loin d’être une simple bataille politique, la révision de la loi d’amnistie est une nécessité juridique et éthique.  La proposition de loi interprétative portée par PASTEF et l’honorable Amadou BA vise à corriger une loi trop floue et juridiquement contestable, tout en maintenant l’esprit initial de réconciliation.

Dans un Etat de droit, une loi ne doit jamais servir d’impunité aux crimes les plus graves.  Cette interprétation permettra de rétablir la justice et d’éviter qu’un flou juridique ne vienne compromettre l’application des principes fondamentaux du droit pénal et des engagements internationaux du Sénégal.

Madame KHOUDIA MBENGUE, Juriste
Pastef Marseille
Membre de MONCAP France

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