mardi 8 octobre 2024
Contributions

La diaspora et la damNation(Par Malé Fofana)

« On demanda à une mère laquelle de ses enfants elle préfère. Elle répondit: celui qui est le plus jeune jusqu’à ce qu’il grandisse, celui qui est malade jusqu’à ce qu’il guérisse, celui-ci qui est loin jusqu’à ce qu’il revienne« .

Oustaz Alioune Sall

Au nom de tous les miens.

Je m’étais dit que je n’allais pas écrire à propos du communiqué, ce 2 janvier 2021, du Ministre de l’intérieur, suite au succès du Nemmeeku tour, à propos de la question du financement des partis politiques. J’avais raturé le document, et écrit dessus :« circulez, rien à analyser ». Je fais mon Mea culpa (émotions, quand tu nous tiens). Tout texte mérite analyse, car il divulgue un fait dans la forme, dans le fond, ou par inférence.

Ce communiqué en question est le fruit d’un acte manqué inouï – tout acte manqué étant un discours réussi (Lacan), ou alors c’est un décor de fond d’un marionnettiste qui s’apprête à installer ses personnages. Il peut tout aussi bien être le Carré blanc sur fond blanc de Mondrian. Ce fameux tableau nu, qu’on peut voir vide ou plein. Question de perception…

Dans le cas où l’ambiguïté du texte est voulue, il laisse un vide, plus béant que la brèche de la langue de Barbarie de Saint-Louis. Serait-ce un jeu de hasard engagé par le Ministre? Une partie dans laquelle la Diaspora est le pion à sacrifier? C’est un jeu bien dangereux car la Diaspora, n’est pas une pièce légère (voir mon article: https://dallamalefofana.blogspot.com/2019/03/la-diaspora-cette-belle-dame-rebelle-et.html

En attendant la suite des évènements, ce texte est un autre coup porté aux sénégalais de l’Extérieur. Après que les  modou-modous aient été accusés d’avoir contribué à propager le coronavirus au Sénégal, après qu’on n’ait pas voulu que leur corps vaincu par la maladie soient rapatriés, voici un nouveau coup. Le coup de trop?….

Mais, la Diaspora est un pion stratégique, à ne pas négliger. Elle mérite le respect du Pouvoir. Elle est un grand régulateur social. La Diaspora injecte, de ce qui passe par les circuits formels, l’équivalent d’un plan Marshall, chaque année que Dieu fait. Un montant proportionnellement égal à la bouée de sauvetage que les Usa ont injectée dans l’économie de l’Europe, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, en 1947. Sans cette manne financière, le Sénégal, comme bien d’autres pays d’Afrique, serait tombé dans une faillite économique chronique. Le peuple se serait doute déjà retrouvée dans la rue depuis bien longtemps.

Ceux qui ne veulent pas de l’intervention politique de la Diaspora ne font que flouer le peuple. Diviser pour mieux régner: »divide and conquer ».  Si vous saviez, comme disait Cheikh Anta, ce qu’ils dissimulent sous le couvert du politiquement correct, vous les chasseriez avec des bâtons.

La Doxa africaine nous apprend que quand une mère a plusieurs enfants, il y en aura qui lui causeront des maux de tête, certes, mais il y  en aura un  se jurera de ne plus jamais  voir ses larmes, un qui sera allergique à ses courbatures et maux de dos, un qui sera le garant de son sommeil, un qui sera le bouclier de sa dignité, et il y en aura un qui sera la sentinelle de sa fierté.  Les sénégalais locaux et ceux de la Diaspora sont tous des fils et filles de la Grande Dame, et chacun a sa mission. Personne ne doit être écartée, comme un enfant illégitime.

Dans la philosophie musulmane (Al-mudatthir: 74,13), le Gracieux, al Waduud, recourt souvent à des métaphores de velours pour ne pas montrer une image de Vengeur. Mais Il utilisa des mots acerbes contre un individu. Il ne lui reprochait pas d’avoir été ingrat. L’ingratitude est commune chez les hommes. Il lui reprochait de Lui avoir tourné le dos alors qu’Il lui a accordé une faveur exceptionnelle: le bonheur de voir ses enfants réussir et prospérer dans la vie, sans avoir à s’écarter et s’éloigner du vieux père et de la vieille mère…

L’émigration est donc un phénomène presque « fatal »… Mais ne cherchez pas dans la langue française la racine de ce mot. Faites un petit tour dans la langue anglaise, et pensez à « FATE » (destin).

Ceux de la Diaspora ne sont pas une élite, descendant d’une élite. J’ai souvent entendu et même soutenu, dans les années 80, ceux qui disaient qu’ils n’accepteraient pas que les fils de riches quittent le pays, fassent leurs études à l’Étranger dans le luxe, puis reviennent diriger le goorgourlu qui crève sous le soleil.  Aujourd’hui, ceux qui envoient leurs enfants à l’Extérieur ne sont plus uniquement de la frange favorisée. Écoutez le récit des émigrés pour vous en rendre compte. Ceux-ci n’ont pas nécessairement moins souffert que ceux qui sont restés au Sénégal.  Et dans les mêmes conditions de température et de pression, il y en a qui ont enduré autant ou plus. Est-ce Aznavour qui disait que « la misère est moins pénible au soleil »?

Ne séparez pas la Dame Nation de ses enfants d’Outre-mère. Une mère ne choisit pas entre ses enfants. Cette séparation psychologique ne peut que lui nuire. Oustaaz Alioune Sall rapporte que quand on demanda à une mère lequel de ses enfants elle préfère. Elle répondit : « le plus jeune jusqu’à ce qu’il grandisse, celui qui est malade jusqu’à ce qu’il guérisse, celui-ci qui est loin jusqu’à ce qu’il revienne ».

La Diaspora ne veut plus « immobiliser » ses richesses dans des immeubles à louer (excusez la répétition). Après avoir maintenu le pays dans la stabilité, elle veut maintenant investir dans le progrès. Au-delà de continuer à donner du poisson, elle veut enseigner à pécher, et cheminer avec ses frères et sœurs.

Le fils éloigné de la vieille Dame a maintenant grandi; sa fille éloignée a mûri. Son enfant malade a guéri (ou veut guérir), ceux qui partirent au loin veulent maintenant revenir, revenir autrement, revenir  de toutes les manières possibles.

Ceux de l’Extérieur ne veulent plus être les damnés de la Nation, errant comme âme en peine, avec comme sort, le châtiment des sœurs Danaïdes : remplir éternellement un tonneau perforé de trous.

Laa yamuutu feeha wa la yahyaa – Al Alaa 87.13

(Et là, ils ne vécurent, ni ne purent mourir).

Picc ca kaw xel ma ca suuf…

Malé Fofana PhD

 

AuteurConseiller linguistique et communication

ComUnicLang-Bataaxel

https://www.comuniclang.com/

Sherbrooke, Québec, Canada

 

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