mardi 16 avril 2024
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Dette africaine, halte à la mendicité

À deux mois de l’élection présidentielle du Sénégal, l’actuel gouvernement jubilait d’avoir accompli la prouesse de trouver les financements qu’il cherchait auprès du Club de Paris pour la Phase II du PSE (2019-2023). Mieux, au lieu des 2850 milliards de francs recherchés, le pouvoir a pu mettre la main sur 7700 milliards, soit plus du double dont il avait besoin. Le Club de Paris a été généreux envers le pays de la Téranga et l’Alliance de la République avait, en ces termes, félicité le Président : « l’APR félicite le gouvernement et toute l’équipe qui s’est mobilisée pour faire du Club de Paris, une réussite totale au regard des engagements pris par les partenaires pour soutenir le Plan Sénégal Émergent et accompagner le Président Macky Sall dans le parachèvement du processus qui devra placer, définitivement, notre pays sur les rampes de l’émergence. »

Le FMI avait averti le Sénégal sur la croissance de sa dette et les investissements peu ou pas productifs qu’il réalise avec. Mais le Ministre des Finances d’alors, Ahmadou Bâ, avait voulu être plus que claire avec l’institution à qui il a fait comprendre que le pays était souverain en la matière et qu’il n’y avait pas de leçon à recevoir d’elle.

Cinq mois plus tard, le Président Macky Sall s’est fait l’avocat de l’Afrique pour plaider « l’annulation totale de la dette » dans les médias français sur France24 d’abord, ensuite sur Le Figaro. Il argue que le Covid-19 va provoquer une crise affaiblissante sur l’économie du continent noir qui aboutira à « une récession mondiale » et qu’il appelle à « un nouvel ordre mondial ». Cet appel me parait tout de même bizarre. Un nouvel ordre mondial se trame et s’exécute selon l’agenda d’acteurs cachés ou connus pour prendre le contrôle de la marche du monde. Il peut aussi découler d’un évènement majeur comme une guerre majeure et à grande échelle.




Revenant brièvement sur la crise dont fait allusion le Président du Sénégal, elle pourra certainement causer une double crise humanitaire et alimentaire qui touchera durement les pays à faibles revenues mais n’épargnera pas les grandes puissances. Mais est-ce une raison convaincante pour continuer dans la mendicité institutionnelle à l’échelle internationale ?

Les dirigeants de l’Afrique, surtout de la partie francophone, ont l’habitude de s’endetter massivement et continuellement au nom de leur population sans pour autant investir sur des priorités économiques et sociales et des secteurs productifs. En 2014, je disais déjà que le PSE dont le seul document a coûté plus d’un milliard n’était qu’un plan d’endettement qui menait le Sénégal vers le gouffre. En 2019-2020, on était déjà presque en récession avec l’augmentation de toutes les denrées mais le Covid-19 se dessine comme une voie de sortie pour notre Chef d’État qui de manière incessante crie sur tous les toits du monde que l’effacement de la dette est plus que nécessaire pour renflouer l’Afrique, ce navire qui a toujours été sous le grand bleu.

D’abord il faut dire au Président de la République qu’il n’est pas mandaté à parler au nom de l’Afrique, c’est aux institutions continentales, de manière coordonnée, de le faire. Il doit s’en rendre compte lui-même puisque depuis qu’il parle de cela, il n’y a eu la moindre réaction de ses pairs africains. Donc il manque une solidarité pour porter ce projet, et cela démontre sa faiblesse et ses chances de réussite sont très minimes. Ensuite, les États s’endettent par leur propre grès et ils ont l’obligation de remboursement que des circonstances peuvent être invoquées pour l’assouplissement. Cette obligation de remboursement ne s’efface pas au profit d’une pandémie surtout lorsqu’elle a mis à genou même les grandes puissances.

La dette qu’elle soit bilatérale, multilatérale ou privée, suit la logique des affaires. Les États, agences de développement, institutions internationales, et banques accordent des dettes non pas pour la simple volonté de développer nos pays, subir des pertes, ou pardonner au grès de circonstances et des émotions qu’elles entrainent chez les humains mais pour en tirer des profits dans le futur.

La dette bilatérale, entre deux états souverains, est plus facile à gérer que celle multilatérale qui est du ressort du FMI et de la Banque Mondiale. Les dettes privées sont gérées indépendamment par des entités de droit privé. La dette bilatérale est plus facile à gérer car elle dépend de la nature des relations liant deux pays. Elle peut être pardonnée de manière unilatérale et peut être avec des conditions plus souples. Quant à la dette multilatérale qui dépend en majorité des institutions de Breton Woods, l’annuler prend des tours de discussions et de négociations longues et âpres basées sur des argumentations solides. Si elle doit avoir lieu, elle se fera avec des conditions strictes et claires mais aussi au cas par cas. Le Sénégal remplirait-il de telles conditions avec les histoires de détournements et de malversations au quotidien et ces n0ombreux grands projets peu rentables même à long terme ?

Une annulation totale de la dette africaine comme le plaide Macky Sall n’est donc pas à attendre surtout à ces moments où les principes de la morale les plus chères s’écroulent une à une. L’exemple le plus patent, le refus de l’UE d’aider l’Italie !  

Déjà les pays africains bénéficient de la gentillesse des bailleurs de fonds avec des taux d’intérêt quasi nuls mais aussi des remises partielles selon les conditions du pays. Plaider une annulation totale de la dette n’est pas non seulement une demande de trop mais elle est aussi irrecevable et les institutions ont déjà répondu à l’appel par un allégement qui pourrait être étudié. Je ne pense pas que la communauté internationale soit prête à aller plus loin que cela.

L’argumentaire de l’effacement de la dette ne pas s’appuyer sur une quelconque pandémie qui fait couler tous les pays, forts comme faibles mais par le passé douloureux du continent et les préjudices économiques et humains qu’il a subi et qui sont irréparables.

Le Covid-19 est à la fois une malédiction et une bénédiction pour l’humanité toute entière. Pour l’Afrique, on devait le voir plus du côté positif malgré les nombreux morts qu’il pourrait entrainer. Au lieu de s’adonner à une mendicité internationale au moment où c’est le sauve-qui-peut partout, nos dirigeants, à commencer par Macky Sall, doivent arracher l’indépendance économique de l’Afrique occidentale et une partie de l’Afrique centrale de la France en mettant fin au FCFA rapatriant ainsi toutes nos devises nichées dans le Trésor public français et en renationalisant nos grandes entreprises sous l’emprise de multinationales majoritairement françaises qui ne doivent leur existence qu’à leur présence en Afrique.

C’est aussi le moment de se mettre sérieusement au travail pour mettre en place une politique d’industrialisation du continent pour assurer son autonomie énergétique, alimentaire, pharmaceutique et arrêter de signer des contrats qui ne nous profitent qu’à hauteur de 10%. L’Afrique est capable d’assurer toute seule son avenir sauf qu’il lui manque une élite courageuse qui assume leur liberté, et décidée à ne travailler que pour l’intérêt du peuple africain. Depuis les sois disant indépendances, nombre de plans de développement nous ont venus de partout et aucun n’a encore porté de fruits.

Le Covid-19 doit être le déclic pour l’homme noir d’autant plus que toutes les puissances sont déjà affaiblies annihilant ainsi presque tous les rapports de force mais permettant spécifiquement à l’Afrique de partir sur de nouvelles bases. Sinon il ne servirait à rien d’annuler la dette sans avoir un plan de sortie de ce cercle vicieux avec comme corollaires la corruption, le détournement de denier public, le vol organisé et une justice réduite en spectatrice.

L’Afrique n’a pas besoin de mendiants haut de gamme mais d’une élite consciente, et dévouée à sa cause.

Sidy Touré
Spécialiste en développement international et action humanitaire.
Washington D.C .


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