« De la traversée de l’Atlantique Sud à l’espoir de réformes, Prof. Mamour Sop Ndiaye écrit au jeune Pape Natango et alerte sur l’urgence de lois garantissant inclusion et accessibilité. »
Cher Pape Natango,
Cher Graindé,
Ton histoire a traversé les frontières pour atteindre mon cœur avec la force d’un cri silencieux devenu impossible à ignorer. En remportant la première place au Bac 2025, en écrivant tes épreuves avec tes pieds, tu n’as pas seulement gagné, tu as mis à nu l’hypocrisie d’une société qui persiste à nous appeler la moitié d’une personne.
Oui, Pape, il y a encore ceux qui nous voient ainsi : des corps incomplets, une citoyenneté incomplète, une humanité incomplète. On se souvient de nous lorsqu’il s’agit de statistiques, lorsqu’on transforme nos vies en récits destinés à émouvoir les foules, mais on nous oublie quand il s’agit de garantir nos droits les plus fondamentaux. Trop souvent, on ne se souvient de nous que pour accomplir une offrande prescrite par un marabout, comme si notre existence pouvait servir de remède à leurs malheurs, comme si notre dignité pouvait être monnayée par un rituel au lieu d’être garantie par la justice.
Je me souviens de ce collègue handicapé qui, cette année, a tenté d’accomplir le rêve sacré du pèlerinage à la Mecque. Il a affronté toutes les difficultés inimaginables, car la commission en charge du Hajj n’a aucun protocole pour les pèlerins handicapés. Ce n’est pas la foi qui nous exclut, c’est le mépris des institutions.
La Carte Égalité des Chances est présentée comme un symbole d’inclusion, mais en réalité, ce n’est qu’un slogan politique. Où sont les lois obligeant toute nouvelle construction – publique ou privée – à être pleinement accessible ? Où est le plan national qui transformerait les bâtiments publics en espaces pour tous ?
Mon histoire personnelle porte les mêmes cicatrices. Je suis entré tard à l’école. Mon père hésitait, car il savait ce qui m’attendait : rejet, moqueries, barrières invisibles. Il avait raison. Ma mère, comme la tienne, fut mon pilier. Combien de fois m’a-t-elle conduit par la main jusqu’à la salle de classe, affrontant avec moi chaque regard de mépris ? Et, comme toi, j’ai aussi pu compter sur quelques camarades, des maîtres bienveillants et un écosystème familial favorable.
J’ai dû traverser l’Atlantique Sud pour chercher et accomplir des réalisations que je n’aurais jamais imaginées dans mon propre pays – un pays dont le système exclut systématiquement ses handicapés.
Je me souviens encore que la première salle de classe de ma ville – construite en 1950, alors que nous étions encore colonie a été financée par mon père. Et pourtant, entre ces murs, l’exclusion persistait.
Pape, lorsque tu as pris la parole, j’ai interrompu tout ce que je faisais pour recueillir chacun de tes mots. Tu étais dans ton lieu de parole, Pape. Et la moitié de la salle était émue. Ils ont pleuré parce qu’ils voyaient, en toi, l’histoire de milliers de handicapés dont tu personnifies les succès et les frustrations. Mais beaucoup tentaient seulement de s’approprier un récit qu’ils n’ont jamais vécu. Ce sont les mêmes qui détournent le regard devant un handicapé au feu rouge, mais versent des larmes lors des conférences.
Surtout, comment comprendre que la lutte pour l’inclusion des personnes handicapées soit menée par des personnes qui n’ont jamais éprouvé nos douleurs ? Au nom d’une supposée conscience, elles nous offrent un peu d’oxygène, mais en réalité, elles ne font que révéler le terrible abandon dans lequel se trouve tout être privé de la possibilité de partager une douleur qu’il ne peut ni ressentir ni même voir. La preuve en est qu’elles parlent à notre place et votent des lois issues de leur imagination, mais jamais celles qui répondent réellement à nos besoins.
J’ai grandi dans une culture où l’on dit qu’un gouvernant qui construit des prisons finit toujours par y être enfermé, et où l’on croit qu’il n’est pas bon de confier des postes de responsabilité à des personnes handicapées, car, selon cette logique perverse, un gouvernement qui le ferait deviendrait lui-même “handicapé” dans l’accomplissement de ses devoirs. Lorsqu’ils nous embauchent, c’est souvent pour nous exhiber comme un produit en vitrine, et non pour reconnaître notre compétence et notre humanité. C´est que nous appelons de la romanisation des personnes en situation d´handicap.
Mais ton histoire, Pape, est un phare. Elle porte le pouvoir de transformation dont notre pays a besoin, dont le monde a besoin, et que nos grands-pères Hampâté et Madiba nous ont légué en affirmant : _« L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. »_ J’espère qu’avec le fait historique que le Pastef a réalisé aux élections législatives – avec nos députées et suppléants Awa, Al Amine, Sadibou, Mamour et tant d’autres voix engagées – nous pourrons enfin imposer les lois justes qui garantiront dignité et accessibilité pour nous tous.
Pourquoi les concours publics ne réservent-ils pas de postes pour les handicapés ?
Pourquoi le gouvernement tarde-t-il à appliquer les quotas d’embauche pour les personnes handicapées ?
Jusqu’à quand l’exclusion sera-t-elle naturalisée comme si elle était un destin ?
J’ai la foi qu’avec Pastef, le Sénégal sera finalement le pays de tous.
Dr. Mamour Sop Ndiaye
PhD, Enseignant-chercheur, Spécialiste en Planification, Transition et Efficacité Énergétique
Vice-coordinateur de PASTEF Brésil – Député suppléant des Amériques- Chef du Département de Génie Électrique – CEFET/RJ, Brésil Membre de MONCAP et de MONAPH Fondateur – ONG Wells of Change