vendredi 29 mars 2024
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SÉNÉGAL : Les banques à l’épreuve du Covid-19

Nées au 19ème siècle, des entrailles de la révolution industrielle, les banques ont connu plusieurs évolutions jusqu’à aujourd’hui. Initialement conçus pour la collecte des dépôts et l’octroi des crédits, les établissements financiers se sont transformés en de véritables vecteurs de performance des systèmes économiques. L’intermédiation des banques permet la confrontation de deux catégories d’agents économiques : d’un côté les agents à capacité de financement (ACF) et de l’autre côté les agents à besoin de financement (ABF). La collecte des ACF devant servir au financement des manquements des autres agents de l’économie via le canal du crédit. Au fil des années l’offre bancaire s’est nourrie d’une large panoplie de produits et de services, permettant à la fois d’équiper les clients dans leur quotidien et de faciliter la diversification des activités de banque.

Au Sénégal, le secteur bancaire comptait jusqu’au 03 juin 2019 vingt-neuf (29) établissements de crédits agréés et deux (2) holdings financières. Les organismes de crédits sont constitués de vingt-cinq (25) banques et quatre (4) établissements financiers. 

L’activité du système bancaire est stable et se distingue par un fort dynamisme ponctué par une performance des encours de crédits à la clientèle d’environ 12 % en 2018 d’après le directeur national pour le Sénégal à la BECEAO. En 2019, le total bilan des banques se chiffrait à près de 7 250 milliards, en progression de 9,6 % par rapport à 2018. Ces établissements contribuent à près de 30 % du produit intérieur brut (PIB). Au Sénégal, la participation des organismes financiers au PIB demeure faible comparer à d’autres pays Africains comme le Maroc où ce chiffre s’établit à près de 60 % du PIB. 



La participation moindre des établissements financiers au PIB, pourrait s’expliquer par le faible taux de bancarisation dans ce pays où l’économie est fortement marquée par un secteur informel  » Bana-Bana  » constituant près de 40 % du PIB. D’après les rapports d’informations de la BCEAO, le taux de bancarisation se situerait à 19 %, pour 481 guichets et 499 distributeurs automatiques de billets (DAB/GAB). La faiblesse du taux de bancarisation, est un frein à l’accès aux crédits, car il ne permet pas aux établissements financiers de compenser leurs frais fixes d’où la cherté du cout du crédit.

En ce sens, l’utilisation de la digitale avec la téléphonie mobile devrait permettre de booster la pénétration du secteur financier auprès des ménages sénégalais et ainsi accroître le niveau de bancarisation. En effet, le téléphone portable est de plus en plus présent dans le quotidien des ménages sénégalais. Chaque année, plus de 1 500 milliards de FCFA transitent via les systèmes de transfert d’argent, d’après la société financière d’intermédiation (SIF). Pour parer à la complexité des outils connectés notamment le téléphone compte tenu du niveau élevé de l’analphabétisme, il serait opportun de travailler à faciliter la communication de ces outils via les langues nationales (le wolof étant la plus parlé dans le pays).

Ce travail de communication permettra d’une pierre angulaire : à valoriser les langues du terroir, réduire les inégalités sociales et ainsi booster l’inclusion financière des populations. Des mesures visant la sécurité du processus devront également suivre le changement. 

Les établissements gagneraient énormément à se rapprocher encore plus des populations notamment les ménages des zones rurales, qui n’ont pas accès au numérique. L’offre de services dématérialisés devrait répondre aux mêmes exigences que celle des villes. 

Réussir le pari d’élever le taux de bancarisation est un point d’ancrage indéniable à la dynamique de croissance du Sénégal. Avec plus de clients, les établissements financiers n’auront plus la latitude d’enchérir les taux d’intérêts relatifs aux emprunts sollicités par les jeunes, entrepreneurs ou patrons d’entreprises. 

La cherté du coût du crédit et les ordres de cautionnement (hypothèque) constituent l’une des facteurs de résilience au développement économique. Les taux d’intérêt aux emprunts sont excessifs et s’établissent pour la plupart à deux chiffres. Les sénégalais rencontrent d’énormes difficultés à contracter des crédits au démarrage d’une activité en raison des garanties exigées par les banques. Lorsqu’ils disposent de crédits, ils croupissent sous le poids des dettes à peine le commencement de leurs activités du fait du coût élevé du crédit, compris entre 5 et 15 %. Dans ces conditions, comment démarrer et pérenniser une activité lorsque le taux d’intérêt s’avère plus important que le seuil de rentabilité ? 

Le Sénégal comme ses paires est touché par la coriacité du Covid-19. L’économie est engloutie par la paralysie du système financier international. Les acteurs économiques, quant à eux sont aux émois. En pareil situation, l’économie à plus que besoin de la force du secteur financier en soutien des entrepreneurs et des entreprises en difficulté notamment celles du bâtiment.

Le directeur de la BCEAO, Tiémoko Meyliet KONE, est sorti de son silence pour annoncer la baisse du taux directeur à 2,50 % soit le plus faible niveau d’intervention afin de stimuler la croissance des États. Selon le communiqué,  » cette opération vise également à fournir aux banques les ressources nécessaires à moindre coût, en vue de conforter leur liquidité et leur permettre de maintenir et d’accroître les crédits à l’économie, à des taux plus bas, notamment en faveur des entreprises et des États membres de l’UEMOA ». 

Cette mesure, renforce ainsi la capacité du système financier à contribuer au financement de l’activité économique des pays de la sous-région. En conséquence, les banques doivent diminuer les taux d’intérêts enjoints aux crédits sollicités par les acteurs économiques. Cette décision de la BCEAO conduit également à une renégociation des taux d’intérêt contractés par le passé par les clients. La BCEAO est également intervenue sur le marché financier sous régional. La banque centrale a augmenté l’offre de liquidité offerte aux banques commerciales de 340 milliards de FCFA pour la portée à 4 750 milliards FCFA. Cette action vise à répondre aux besoins de trésorerie des banques en vue de les permettre de financer l’économie des pays de la sous-région.

En respect à cette disposition, les banques doivent communiquer et informer leur clientèle sur les changements découlant de la baisse du taux directeur de la BCEAO et ainsi diminuer le coût du crédit envers la clientèle. 

En plus de la baisse du taux directeur, la BCEAO a également pris des mesures allant dans le but de contrer les effets négatifs de la pandémie du Covid-19 sur l’économie des pays de l’UEMOA. Ces dispositions s’imposent aux banques commerciales, tout en leur exhortant à soutenir les acteurs économiques notamment les entreprises en difficulté de paiement. Parmi les huit mesures prises par la BCEAO le 01 avril dernier, il y a :

– La gratuité, à l’échelle nationale, des transferts de monnaie électronique entre personnes pour les montants inférieurs ou égaux à 5 000 FCFA, y compris les virements de comptes bancaires vers les portemonnaies électroniques, et vices versa.

– La gratuité des paiements de factures d’eau et d’électricité, via la téléphonie mobile, pour les montants inférieurs ou égaux à 50.000 FCFA.

– La baisse de 50 % des frais de retrait par carte bancaire dans le réseau régional du GIM-UEMOA.

– La réduction de 50 %, par les banques, des commissions payées par les commerçants sur les paiements marchands, adossés à la carte dans le réseau du Groupement Interbancaire Monétique de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain (GIM-UEMOA). (les 4 autres mesures cf site de la BCEAO). 

Ces dispositions annoncées par la BCEAO visent à soutenir le financement de l’économie et à promouvoir le paiement électronique en raison de l’arrêt ou du ralenti des opérations physiques. Comme si ces mesures ne suffisaient, la BCEAO est encore une fois sortie de sa réserve à la suite d’un courrier de l’association professionnelle des banques et établissements financiers (APBEF). En réponse à l’APBEF, la banque centrale a ainsi étendu la décision de report des échéances de crédits aux entreprises particulières et aux salariés du privé. Cette décision, vient ainsi appuyer, la décision du président Macky SALL d’épargner les débiteurs des banques commerciales, le paiement de leurs encours de créance.

Que faudrait-il pour faire face à cette crise ?

En voici quelques pistes :

  • La banque centrale (BCEAO) devrait davantage baisser son taux directeur, actuellement à 2,50 %. Quant aux établissements financiers, elles devraient réduire l’écart entre le taux de refinancement de la banque centrale et les taux d’intérêts des crédits (2,50 % et 5/15 %).
    En plus de l’appel à l’annulation de la dette publique, les dirigeants Africains devraient requérir au mécanisme des obligations pandémiques (Pandemic Bonds) lancées par la Banque Mondiale et le FMI. Les obligations pandémiques sont des instruments financiers, permettant à des investisseurs de spéculer sur d’éventuelles catastrophes naturelles ou pandémies. Elles existent depuis les années 1990.
  • Les dirigeants Africains devraient faire preuve de courage et exiger une évolution des statuts de la banque centrale, en y intégrant le mécanisme de la « planche à billet » à l’instar des banques centrales occidentales (FED, BCE, Banque centrale du Japon, de la Chine, etc). Cette mesure, requerrait une vive attention sur le niveau d’inflation et la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, etc.
  • Booster la politique monétaire de la BCEAO en l’orientant vers des politiques durables de soutien à la croissance et au développement sociaux-économiques des Etats Membres de l’UEMOA.
  • La « planche à billet » aiderait la banque centrale (BCEAO) de monétiser la dette publique des Etats de la sous-région, c’est-à-dire de financer directement le déficit public des Etats. Cette stratégie comporte donc un triple avantage :
    • Primo, l’Etat “éponge” son déficit public gratuitement, donc sans faire appel aux investisseurs privés et / ou extérieurs.
    • Secundo, comme l’Etat ne fait pas appel aux marchés d’obligations, les taux d’intérêt restent bas, ce qui permet de faciliter le financement de l’investissement privé et de la consommation des ménages.
    • Tertio, par cet excès artificiel de liquidités, la devise du pays concerné se déprécie, soutenant par là même les exportations et la croissance du pays en question.
  • Suspendre et reporter le sans condition le remboursement des échéances des encours de créance des débiteurs notamment les entreprises individuelles (PME/PMI), les auto-entrepreneurs, jusqu’à la reprise normale des activités.
  • Dissuader les actionnaires des établissements financiers et des grandes sociétés privées de distribuer les dividendes au terme de l’exercice comptable 2020.

Pape Ndiamé GUEYE
Consultant Finance – Paris
ndiamegueye1@gmail.com


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