jeudi 25 avril 2024
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L’accompagnement éducatif : Socialisation et choix de l’enfant (Par El Hadj Séga Gueye)

Extrait de mon dernier livre sur « l’Accompagnement éducatif » (en cours de parution)

Je pars d’une petite anecdote de ma belle-mère lorsqu’elle était en visite chez moi pour quelque temps. Elle avait l’habitude de s’occuper de mes petits jumeaux âgés de deux ans. Elle trouvait souvent que leur alimentation était fade, raison pour laquelle elle rajoutait habituellement un peu de sel dans leur nourriture. J’ai eu du mal à lui faire comprendre que cette nourriture était fade par rapport à ses goûts à elle, et non par rapport à ceux des enfants. Ainsi, ne serait-il pas plus adéquat de laisser l’enfant explorer toutes les saveurs, pour l’aider à se familiariser avec les aliments et de pouvoir les apprécier ?

La question légitime que l’on doit se poser, c’est de savoir si les bébés ou les enfants moins âgés ont réellement le choix. Leur choix doit-il forcément dépendre du choix de leurs parents ou de leurs nounous ? De manière inconsciente, les parents peuvent imposer leur choix, leur goût, leur style de vie à leurs enfants sans s’en rendre compte. L’idéal serait de les laisser explorer leur monde pour s’enrichir dans tous les sens. Les premières années de la vie de l’enfant peuvent largement impacter sur sa personnalité, la manière dont il sera socialisé. En effet, Docteur Fitzhugh Dodson fait remarquer, à juste titre, dans son best-seller : « au moment où l’enfant atteint six ans, les structures essentielles de sa personnalité sont formées ; personnalité qu’il portera en lui toute sa vie. Elle déterminera, en grande partie sa réussite scolaire et celle de sa vie d’adulte. Son comportement dans la société, son attitude visàvis des problèmes sexuels, ce que sera sa jeunesse, quel type de personne il épousera et comment son mariage réussira ».  (DODSON, 2002)

En dépit d’une part de vérité dans ce qu’il avance, en l’occurrence sur la manière de forger la personnalité de base type, cette thèse du Docteur Dodson doit être relativisée. Si d’une part elle encourage les parents à bien s’occuper de leurs enfants entre 0 et 6 ans, d’autre part elle condamne tous ceux qui ont subi une « mauvaise éducation » durant cette période. Une telle conception présuppose également qu’une éducation ratée entre 0 et 6 ans est synonyme d’un avenir trouble pour la personne, ce qui, forcément, ne se traduit pas dans la réalité.

En se plaçant du point de vue sociologique, loin de croire ce genre de platitude développée par Docteur Dodson, je dois admettre que la personnalité de l’individu est un travail, elle n’est pas un acquis. Nous ne sommes que partiellement forgés ou façonnés par l’identité familiale. C’est au contact de la société, de la multiplicité des interactions qui se développent entre membres d’une société, que l’individu forge sa personnalité. Une éducation « réussie » entre 0 et 6 ans ne garantit nullement l’accomplissement de soi dans le futur. Par conséquent la vie est une trajectoire qui peut être déviée à tout bout de champ par l’environnement social. Au cours de mon accompagnement, j’ai vu des jeunes qui ont bénéficié d’une bonne éducation depuis leur tendre enfance, puis au fil du temps, ils ont intégré des groupes qui ont eu un impact majeur sur leur vécu quotidien. De fil en aiguille, la dégradation de leur milieu de fréquentation les a complètement déviés de leur trajectoire.

Donc les parents ont pour rôle d’accompagner l’enfant dans son processus de construction qui se réalise par lui-même. Maria Montessori développe l’idée selon laquelle l’homme est une construction de l’enfant. Tout homme a été formé par « l’enfant constructeur » qui le produit lui-même. Cet enfant grandit et continue à construire l’homme. Dans le sens où l’entend cette auteure, les parents ne sont pas des constructeurs mais des collaborateurs. L’enfant fait énormément des efforts sur lui-même pour parler, marcher, connaître etc.

Cette collaboration peut être pensée sous forme d’accompagnement. Ce dernier consiste naturellement à donner à l’enfant les moyens de se réaliser, à l’aider convenablement pour réussir sa construction de manière la plus harmonieuse.

Jan Hunt va plus loin lorsqu’elle pose la question de savoir « si les enfants étaient effectivement aussi différents que les adultes, à quel âge changeraient-ils subitement leur mode de fonctionnement ? Au matin de leur dix-huitième anniversaire ? Une telle transition n’existe pas ».  S’inscrivant dans cette logique, les enfants ne sont pas différents des adultes. En effet, pour elle, « aucun adulte n’améliore son comportement lorsqu’on le critique, on l’insulte, on le frappe, on lui hurle dessus ou on le punit…Pourquoi tout le monde ne sait pas qu’il en va de même pour les enfants ? Comment se fait-il qu’on suppose que les enfants se conduiront mieux s’ils sont punis ? »  (HUNT, 2007).

À travers ces développements, il importe de se dire qu’un enfant bien traité, avec amour, respect, compassion et empathie, se sentirait sûrement en confiance. Il sera mieux dans sa peau, avec un développement harmonieux, qu’un enfant souvent puni, maltraité. Une mère interpellée sur les raisons qui expliquent la réussite de son accompagnement éducatif et le bonheur qu’elle ressent envers son fils de 15 ans, affirme : « Eh bien, nous avons fait tout ce que la société nous a dit de ne pas faire ! Il a dormi avec nous, je l’ai allaité plusieurs années, il n’a jamais été puni, menacé ou brimé, nous ne nous sommes jamais moqués de lui, et il avait le droit d’exprimer sa colère aussi bien que sa joie » (Ibidem).

L’accompagnement éducatif consiste, entre autres, à être attentif et vigilant aux petits faits et gestes, au comportement, à l’attitude et au sentiment des enfants qui sont reproduits à travers les cinq sens (la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher).

Selon Gèneviève Kebs « l’éducation se fait au jour le jour par petites touches ». « Chaque jour l’enfant vit à l’école des évènements plus ou moins heureux. Il travaille, s’amuse, s’ennuie, entre en conflit, retrouve ses amis, reçoit des notes, réfléchit sur un sujet, rit, pleure, goûte, crie, il est félicité ou puni. Lorsqu’il gagne le domicile familial il peut être content, triste, déçu, silencieux, frustré, anxieux. Les fortes pressions qu’il aura vécues dans la journée, additionnées peut-être à celles qu’il aura vécues à la maison, l’agressivité, la joie, l’excitation, la déprime, l’intérêt, etc. Que ceux-ci soient positifs ou négatifs, jour après jour les parents et les enseignants doivent rester attentifs, s’y adapter et agir. » (KREBS, 2008).

L’accompagnement éducatif doit ainsi reposer sur une pédagogie de l’intelligence relationnelle envers l’enfant. Cette pédagogie nous invite à développer une philosophie de l’intelligence du cœur qui doit être privilégiée au détriment de la violence et de la punition systématique. Malheureusement l’intelligence du cœur est souvent aveuglée par la colère des adultes. Ces derniers sont habituellement confinés dans une humeur de dogue où la compassion envers l’enfant n’est que chimérique. Or, la raison doit plus que jamais primer sur la colère : comprendre avant d’agir et agir en toute responsabilité en alliant la détermination dans l’accompagnement et la compréhension des faits.

Et pourtant certains parents victimes de la violence reproduisent à leur tour cette violence sur leurs enfants. Il m’arrive de discuter avec des amis qui me disent qu’ils ont été bien bastonnés durant leur enfance pour les remettre dans le droit chemin et ce n’est pas pour autant qu’ils sont devenus violents. Mais la plupart des personnes qui pensent de la sorte reproduisent, eux-mêmes, cette violence sur leurs enfants de manière consciente ou inconsciente. Certains parmi eux ont l’intime conviction que la violence éduque mieux que les conseils.

Jesper Juul nous explique comment on réussit à argumenter en faveur de l’emploi de la violence avec les mêmes arguments que cette jeune mère a utilisés pour enfermer ses enfants : « J’ai moi-même reçu quelques baffes dans mon enfance quand je les avais bien méritées, et je ne m’en suis jamais portée plus mal. Et : cela marche ! » « Si les enfants font quelque chose d’insupportable, il n’y a qu’à leur donner une bonne volée et recommencer, comme ça, ils arrêteront ! » (JUUL, 2012).

Cet auteur pousse la réflexion en prenant le contre-pied de ceux qui soutiennent la violence : « L’argument selon lequel « cela marche » ne fonctionne pas seulement pour la relation entre parents et enfants mais aussi pour la pédagogie et le comportement professionnels. Je veux dire par là qu’il est grand temps que nous arrêtions de l’utiliser comme argument massue, et ceci pour deux raisons.

En premier lieu nous en savons désormais tellement sur la capacité des enfants (et des adultes) à coopérer et sur leur volonté de le faire que l’argument ne tient plus la route.

Ensuite petit à petit nous en savons tellement sur les conséquences à long terme de la violence qu’il n’est tout simplement plus éthiquement excusable de justifier l’emploi de la violence par l’effet superficiel qu’elle peut avoir à court terme » (Ibidem).

Dr El Hadji Séga GUEYE – Enseignant- sociologue

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