samedi 18 janvier 2025
Hommage

HOMMAGE À LANDING SAMBOU SADIO !

En regardant ton corps enseveli, j’ai retenu que ton être ne se réduit pas à cela seulement. Tu n’es pas qu’un corps. Je te voyais en intelligence dans la classe et c’est ce qui demeure vrai.

« Sans avoir honte de le clamer, disons au monde que nous te pleurons du dedans et du dehors »

Je manque de mots pour dire mon mal. Oui, j’ai mal en apprenant la triste nouvelle qui ne devrait jamais tomber et qui paralysa pendant toute la soirée du vendredi 20 décembre 2024 le lycée de Tendouck.

Tu venais à peine d’arriver dans ce lycée où je suis affecté comme professeur. C’est à mon réveil d’un sieste de ce vendredi que je fus informé que le lycée était en deuil. J’aurais aimé que la chose se limite là. Mais, de la mort du ‘’on’’, la chose se précise davantage : c’est un élève de la TL2A.

Dans une posture si inconfortable qui fut la mienne, je dus développer un paravent psychologique appelé : déni de réalité. Je connais tous les garçons de ma classe ; ils ne sont pas nombreux. Je ne voulais penser à aucun d’eux. Me voilà devant le fait par une approche des plus apaisées de la part du M Ndao, Professeur de Sciences Physiques. Landing Sambou SADIO s’en est allé !

Avec ce décès, je me vois dans une situation qu’aucun mot ne saurait traduire fidèlement. C’est là l’épreuve de la mort à la deuxième personne comme l’a indiqué Jankélévitch. Avec une parole toujours calme et juste, un regard pur et une posture respectueuse, tu ne pouvais pas rester invisible dans ton coin. C’est ta personnalité qui me marqua d’abord. Et quand tu parlas pour la première fois en me posant une question pour laquelle je te disais que nous chercherions ensemble la réponse, j’ai décelé en toi un bel esprit. En pensant à tout ce qui aurait pu constituer les chapitres de notre vie de classe durant cette année qui ne fait que commencer, je ne peux pas dire que la vie ne vaut rien, mais j’ose soutenir qu’elle ne vaut pas grand-chose. Mon cher Landing, je me suis isolé dans ma chambre pour te pleurer. J’ai fait de mon mieux pour résister à l’appel du cœur qui tire les larmes des yeux, mais c’est cela aussi la vérité. Ne sois point surpris, de là où tu es maintenant, de me voir à terre alors qu’il y a quelques jours je vous parlais de l’engagement surréaliste. Et auparavant, je vous ai même parlé de la perte d’êtres chers.

Pour cette école poétique, la naissance est un don gratuit ; ce qui amène à considérer la mort comme le retrait avec la même gratuité ce don contingent qu’est la vie. Le lundi 16 décembre 2024 quand je vous remettais vos copies de devoir, je t’avais promis que j’allais faire de toi et de tes condisciples les meilleurs en dissertation littéraire. C’est ici le lieu de mesurer l’extrême fragilité de cette vie. Justement, ce mercredi, je vous avais donné rendez-vous après les fêtes de Noël. Tu fus celui qui acquiesça de la tête pour stabiliser le rendez-vous. En te fixant du regard, j’étais loin de m’imaginer que c’était la dernière fois que nos regards se croisaient en cette vie si précaire et instable.

_ »Abougué »,_ comme je l’appelais affectueusement, ton départ m’a livré un précieux enseignement en écho à ce propos de Montaigne : « Il est incertain où la mort nous attende : attendons la partout […] le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte : il n’y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas un mal ». C’est de la haute sagesse. Mais comment s’y attendre surtout à l’endroit de ceux qui comptent pour nous ? On n’est jamais familier avec la mort. Son avènement bouleverse le tissu social et impose aux vivants un nouveau type de rapport avec le vécu. Chaque perte garde le sceau de sa particularité et devient une expérience unique.

L’invitation de Montaigne consistant à apprivoiser la mort devient de ce fait un vœu pieux que le vécu concret peine à intégrer. On ne s’habitue jamais à quelque chose qui n’advient que pour déconcerter. Tout acte courageux face à ce drame de l’existence doit revenir à hurler qu’on ne saurait « pardonner la mort à la mort », pour reprendre Kamel Daoud. C’est terrible d’être lucide face à cet échec de la vie qui rend prétentieuse, mais non moins inutile, toute entreprise qu’on voudrait grandiose par-delà le temps présent. La mort nous assiège de partout et tout le temps.

Mon cher Landing, tu as été d’un naturel attachant qui accroche les cœurs. Sans être sûr d’être dans le vrai, je voyais en toi l’un des apprenants qui étaient appelés à me marquer à vie comme je le fus pour mon professeur de Français de la classe de terminale, il y a 16 ans. En regardant ton corps enseveli, j’ai retenu que ton être ne se réduit pas à cela seulement. Tu n’es pas qu’un corps. Je te voyais en intelligence dans la classe et c’est ce qui demeure vrai.

Tu es toujours avec nous dans cette salle E1 du lycée de Tendouck en parlant de Littérature. Je vous parlais de ce mot que Victor Hugo aimait tant. Aujourd’hui, nous aimerions t’entendre par delà le tombeau nous dire : La mort pense me posséder. Vaine illusion. Elle n’étreint que mon ombre. Le professeur Ousseynou Kane me conforte quand je lis sous sa plume : « le corps n’est que vanité, poussière qui retournera à la poussière ». Car quelque chose qui lui est supérieur n’épouse pas le néant. Sur la représentation de l’après-mort, je suis plus du côté de Platon que de celui d’Epicure. Je crois à la survie de ce principe immatériel qu’héberge le corps pour le temps d’une vie. Ton départ si brusque indique qu’il y a des êtres dont la vie est d’instruire les autres sur la brièveté de toute existence terrestre.

Mon cher élève, j’ai aussi pensé à tes camarades de classe qui verront toujours ta place inoccupée et l’évitement de prononcer ton nom comme le signe de te garder dans le silence de nos cœurs. Tu es un absentequi brille d’ores et déjà de par cette présence autre qui n’est que le privilège de quelques-uns sur terre. Tu vas beaucoup nous manquer. Nous t’avons confié à tes mânes dans ce coin de terre du village de tes pères pour ton sommeil éternel. J’ai aussi vu la manifestation authentique de l’humanisme chez tes tuteurs.

Face à la montée de la logique capitaliste qui promeut l’oubli de l’humain, cet élan de compassion dans ce village reculé de Albadar est le témoignage éloquent du sens de l’humain qui habite encore quelques cœurs. L’administration du lycée, tes camarades et le corps professoral ont tenu à être là jusqu’à l’ultime poignée de sable qui fend les cœurs les plus stoïques. En voyant l’étroitesse de la paroi de cette tombe prête à accueillir ton corps, pour tenir sur mes pieds, j’ai pensé à ces vers de Victor Hugo : « le tombeau qui sur les morts se ferme / Ouvre le firmament / Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme / Est le commencement ». J’ai vu le Proviseur et le Censeur arborer de maître ès-qualité pour inviter un groupe de tes camarades venus t’accompagner à se pencher sur le « que sommes-nous ? » qui pourrait aider à répondre en un jour moins funeste à la question « qui sommes nous ? ».

En tant qu’un amoureux des écrits de Pascal, le Proviseur nous voit comme des roseaux qui ont la chance de disposer ce qu’Anaxagore a déjà désigné sous le poétique nom de Lumière Naturelle. Et cela nous oblige à continuer la tâche quelque peu ingrate, mais toujours exaltante qu’est l’exercice de la pensée. Ta disparition a causé l’émoi dans ce lieu consacré à la pensée. Le jeudi 02 janvier 2025, j’aurai toutes les difficultés du monde à dérouler correctement mon enseignement. Mes prises de paroles seront entrecoupées de longs silences pour retenir les larmes.

La triste plainte de tes camarades se lirait sur tous les visages. Et je ne serai pas plus outillé pour les aider à tenir le coup. Je ferai mien ce lumineux propos de mon aimable professeur, Ousseynou Kane : « En vérité nous sommes une communauté d’esprits et chaque fois que l’un d’entre nous meurt c’est à l’évidence une partie de l’esprit qui s’en va. Mais à supposer que l’âme ne soit pas immortelle, l’esprit lui-même ne meurt jamais ». Mon très cher Landing, tu vivras au-delà du voile du grand sommeil. Sois dans la lumière qui nous transcende et qui éclaire nos vies.

*Ton professeur de Français, Arfang Kalifa DIEME*

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Youssouph
Youssouph
26 jours il y a

Tu es parti à jamais Landing mais tu es toujours gravé dans nos cœurs frère. Je prie le Grand Dieu de te pardonner et qu’il t’accueille dans son paradis céleste amine. 😭😭🙏😭🙏

Ismaïla Junior Jata
Ismaïla Junior Jata
26 jours il y a

Belle plume et très bel hommage

Dernière modification le 26 jours il y a par Ismaïla Junior Jata
Gran père sény Sambou
Gran père sény Sambou
26 jours il y a

Un texte riche et plein de chagrin que son âme repose.

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