FCFA et ECO, à l’épreuve des caractéristiques d’une zone monétaire optimale (ZMO) (Par Dr Aliou Niang Fall et Dr Moussa Diop)
FCFA et ECO, à l’épreuve des caractéristiques d’une zone monétaire optimale (ZMO)
La théorie des zones monétaires optimales a été développée dans les années 1960, notamment par l’économiste canadien Robert Mundell, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 1999 pour son travail sur le sujet.
Le concept de zone monétaire optimale vise à décrire les conditions dans lesquelles une zone géographique gagne à adopter une monnaie unique. La théorie s’applique également lorsqu’un pays choisit d’aligner le taux de change de sa monnaie sur celle d’un autre pays. En effet, dans les deux cas, le pays perd la possibilité d’avoir une politique monétaire indépendante, à moins de renoncer à son insertion sur les marchés de capitaux internationaux.
Dans le cadre de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), où le FCFA est arrimé à l’Euro, la théorie des ZMO semble très appropriée pour évaluer les avantages et les inconvénients d’une telle expérience d’intégration monétaire adoptée depuis 1962. Il s’agit d’une préoccupation légitime d’autant plus que les autorités politiques et monétaires ont annoncé une « nouvelle » coopération avec la France à savoir la mise en place future de l’ECO (diminutif d’ECOWAS, terme anglais désignant CEDEAO). On pourrait se demander après plus de 50 ans d’expérience, si la mise en place de la zone-franc est optimale ou a un sens ? Est-ce qu’avec l’avènement de la nouvelle monnaie ECO, la tendance va changer à savoir renoncer au lien institutionnel entre notre politique monétaire et celle de la Banque Centrale Européenne ? Est-ce qu’avec l’avènement de cette monnaie, les pays de l’Union auront une autonomie par rapport à l’instrument monétaire ? Est-ce qu’elle va permettre de répondre aux besoins spécifiques des pays membres de l’UEMOA ?
- Caractéristiques d’une zone monétaire optimale
D’après la théorie des zones monétaires optimales, l’introduction d’une monnaie unique a pour principal avantage de favoriser les échanges de biens et de capitaux. On peut citer entre autres avantages : la réduction des coûts de transactions liés aux risques de change entre les monnaies, offrir un marché élargi et augmenter la compétitivité des pays membres.
Cependant, l’instauration de la ZMO a un coût élevé pour les pays membres. En effet, ces derniers doivent se soumettre à une politique monétaire commune ce qui va réduire leur marge de manœuvre face aux chocs économiques. C’est comme-ci ils perdaient une partie de leur souveraineté monétaire car ils ne peuvent pas mener une politique monétaire optimale autonome. Le corollaire en est que : plus les pays présentent des structures économiques différentes (c’est-à-dire hétérogènes), plus l’adhésion à la zone monétaire commune sera coûteux. Cependant des mécanismes d’ajustement existent pour contrer les chocs asymétriques comme le déplacement de la main-d’œuvre et un fédéralisme budgétaire (convergence budgétaire : dette publique et déficit budgétaire, inflation).
L’optimalité d’une zone monétaire dépend donc des facteurs suivants :
- La similarité des caractéristiques structurelles des économies (tel que la nature des biens et services produits, les formes de l’État-Providence, la productivité) ;
- L’importance des chocs systémiques, qui peuvent être plus aisément amortis à l’échelle de la zone tout entière ;
- Dans l’éventualité où ces chocs sont importants, l’existence de mécanismes d’ajustement tels que la mobilité du travail et les transferts fiscaux ;
- Les bénéfices pouvant être tirés de la zone monétaire commune tels qu’une augmentation du commerce et la baisse de risque de change.
- Il faut aussi un taux d’échanges commerciaux très développés entre les pays pouvant tirés des bénéfices.
- L’harmonisation des cadres législatives et réglementaires des politiques publiques
- Inconvénients et avantages de l’arrimage du CFA à l’Euro.
L’expérience ouest africaine francophone de gestion commune de la monnaie FCFA est héritée de la période coloniale, plus précisément le 26 décembre 1945. Peu d’unions monétaires peuvent se prévaloir d’une telle longévité, ce qui pousse certains spécialistes à brandir cet argument pour décerner un satisfécit global de cette expérience. L’autre argument brandi par les défenseurs de ce système monétaire est la stabilité des prix (ou la maitrise de l’inflation). Il faut rappeler que l’objectif principal de la BCEAO est la lutte contre la hausse générale des prix avec un taux d’inflation annuel moyen de 3% maximum par an. Cependant, l’absence de réponse structurelle aux problèmes de développement de la zone UMOA conduit à questionner sur l’efficacité des politiques publiques menées en son sein, en particulier la politique monétaire. Pour cela, nous allons évoquer le triangle d’incompatibilité de Mundell et le lien institutionnel entre la BCEAO et la BCE.
- Triangle d’incompatibilité de Mundell
Le triangle d’incompatibilité ou triangle de Mundell, est un principe économique développé par Robert Mundell et Marcus Fleming dans les années 1960, selon lequel, dans un contexte international, une économie nationale ne peut pas atteindre simultanément les trois objectifs suivants :
- avoir un régime de changefixe ;
- disposer d’une politique monétaireautonome, c’est-à-dire fixer les taux d’intérêt à court terme ;
- avoir une parfaite liberté de circulation des capitaux.
En revanche, si l’un de ces objectifs est abandonné, les deux autres deviennent réalisables.
Nous avons plusieurs scénarios possibles. Le scénario qui prévaut dans l’UEMOA aujourd’hui est celui qui prévalait en 1914 avec le système d’Etalon-or c’est-à-dire la mise en place d’un système de change fixe (parité fixe FCFA/Euro) et la libre circulation des capitaux. Cependant, la zone renonce à son autonomie monétaire (indépendance monétaire et financière). Avec ce scénario, la banque centrale ne dispose pas assez d’autonomie en matière de politique monétaire même si elle adopte des taux d’intérêt afin que le taux de change reste stable (1 Euro = 655,957 FCFA).
Il existe un autre scénario présenté de la façon suivante : renoncer à la parité fixe en adoptant un système de change flottant pour bénéficier d’une autonomie monétaire et d’une libre circulation des capitaux. C’est le système qui prévaut maintenant depuis 1973 dans les grandes banques centrales (FED, BCE). Ainsi, la banque centrale peut intervenir librement en matière de politique monétaire et baisser ou relever les taux d’intérêts en fonction de la conjoncture économique. Ce que la BCEAO peine à mettre en œuvre à cause du système de change fixe et du lien institutionnel avec la BCE.
- Lien institutionnel entre la BCEAO et la BCE
Avec la parité fixe entre FCFA et Euro, il y a systématiquement un lien institutionnel entre les deux banques centrales. Ce lien découle de l’objectif principal de maitriser l’inflation ou la hausse général des prix appelé ciblage d’inflation. Le taux d’inflation dans la zone euro est fixé à 3%. La BCEAO s’est aligné à ce même taux. Ce qui fait que cette dernière n’a pas trop de marge pour mener une politique monétaire autonome afin de répondre aux besoins économiques de la zone. Ce lien institutionnel explique aussi le rationnement ou la limitation du crédit qu’on constate dans les banques provoquant ainsi un sous financement de l’économie à hauteur de 64%. Cela veut dire que s’il y a un choc asymétrique, la réponse ne sera rien d’autre qu’une réponse par les quantités à savoir le niveau de production ou le chômage et non pas par les prix comme les taux d’intérêts ou le taux de change.
- L’ECO, pour corriger les imperfections du FCFA ?
Dès l’annonce de la mise en place future de la monnaie ECO par le président en exercice M. Alassane Ouattara et son homologue français M. Emmanuel Macron, le 21 décembre 2019, cela a suscité un espoir d’une refonte en profondeur du système monétaire ouest africaine actuelle. La décision a suscité aussi l’ire des autres pays membres de la CEDEAO qui ont dénoncés une usurpation de la part de l’UEMOA, créant ainsi une sorte de dualité entre la ZMAO (Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA. Il faut rappeler que ce projet date des années 1980 et fut reporté à maintes reprises du au non-respect des critères de convergence. La CEDEAO avait une feuille de route jusqu’à 2020 pour la création de cette monnaie unique avec une banque centrale fédérale qui la pilote mais aussi fixée à un panier de monnaies (Euro, Dollar,..) et non pas uniquement à l’euro comme le FCFA.
Si la décision politique de remplacer le FCFA à l’ECO est unanime au sein des pays membres de l’UEMOA, les aspects techniques de son mode opératoire n’est qu’à ses balbutiements. Au demeurant, ce que les autorités monétaires ont annoncé est loin d’être une réforme totale de l’ancien système. En effet, la parité entre ECO et EURO sera maintenu fixe (1 Euro = 655,957 ECO). De même le lien institutionnel qui existait entre la BCEAO et la BCE serait maintenant avec toujours la garantie de la fixité par le Trésor français et le même niveau d’inflation qui ne dépassera pas 3%. On serait toujours dans l’ancien système de politique monétaire. Ainsi, le pouvoir d’achat des populations ne va pas changer. De même, il y aura toujours ce rationnement de crédit qui va priver les PME/PMI de bénéficier plus de crédits pour leur exploitation et investissement. Pire encore, nos pays auront toujours du mal à transformer la structure de leur économie. Une situation qui n’est guère favorable aux soldes de la balance commerciale de ces pays.
Certains spécialistes ont préconisé d’adopter un encrage flexible de l’ECO à travers un panier de monnaies les plus cotées. Par exemple on pourrait attribuer 40% à l’Euro, 40% au Dollar américain et 20 % pour le Yuan chinois ou le Yen japonais. Il faut savoir qu’une partie de la dette des pays de la zone est libellée en Dollar avec la levée de fonds récemment sur le marché des Eurobonds (Bénin, Côte d’Ivoire, Niger et Sénégal). En ce moment, avec la chute du baril du pétrole (43 dollar le baril avec une baisse de 29,3 % de prévision), on assiste à une forte appréciation du dollar qui aura comme conséquences : pour les Etats de rembourser plus à leurs créanciers (risque de change) ; pour les entreprises exportatrices d’être payées moins que prévu et pour les entreprises importatrices de payer plus que prévu. Ce qui provoquera une inflation importée. Le panier de monnaie aura l’avantage de se couvrir des fluctuations du taux de change des devises étrangères mais aussi permettra aux autorités monétaires d’avoir la souveraineté de conduire largement la politique monétaire et de l’adopter aux besoins spécifiques de l’économie de la zone.
D’autres économistes sont beaucoup plus pessimistes par rapport à la mise en place de l’ECO. Pour eux, ce sera purement et simplement un échec. En effet, de tous les travaux économiques menés dans ce sens, ils ont montré qu’il n’est pas avantageux pour les pays qui partagent le FCFA d’adopter une monnaie unique, y compris l’ECO de la CEDEAO. Car les critères de convergence pour avoir une zone monétaire optimale ne sont réunis dans aucun de ces pays hormis le Togo (Cf. Rapport de PCSCS des Etats de l’UEMOA 2019). En outre, pour mettre en place une monnaie unique, il faut que les échanges commerciaux entre les pays concernés soient très développés comme le cas dans la zone euro avec un taux d’échange de 60%. Or le taux des échanges commerciaux entre les pays de la zone reste faible et vacille entre 12 et 14 %. Cependant, le seul argument proposé en faveur d’une monnaie unique serait peut-être qu’elle soit précédée d’un gouvernement unique avec un ministère des finances fédéral, capable de mener une politique de solidarité entre les pays, comme le cas aux Etats-Unis.
En définitive, nous dirons que pour disposer d’un pouvoir ou d’une autonomie monétaire, il faudra que les pays de l’UEMOA adoptent leur propre monnaie nationale ou une monnaie unique avec une parité flexible. Ce qui leur permettrait d’avoir assez d’instruments pour pouvoir répondre de façon efficace aux chocs exogènes comme le cas au quel nous assistons à savoir, la crise sanitaire de la Covid-19 qui s’est découlée sur une crise économique, et donc un système économique chaotique. En effet, le comportement chaotique d’un système économique implique que le système considéré a une indéfinité inhérente. Ainsi, il est urgemment important d’étudier le système financier – lui aussi chaotique en ce moment – afin de parvenir à une croissance post-Covid-19 stable. Il existe, cependant quatre dimensions qui construisent le modèle d’un tel système, notamment la monnaie (la plus importante), la production, la main-d’œuvre et le stock. Ce modèle de système chaotique est décrit par des variations temporelles de trois variables d’états qui seront fortement affectées par la réforme du FCFA telle que décrite précédemment, à savoir : le taux d’intérêt de la BCEAO, la demande d’investissement des entreprises (ou la demande de financement adressée aux banques commerciales) et l’indice des prix à la consommation des ménages.
Les mesures prises par la BCEAO pour atténuer l’impact de la pandémie sur l’économie de la zone restent en dessous des attentes à cause d’une politique monétaire axée principalement sur la maitrise de l’inflation et un système de change fixe. Certains spécialistes estiment que la banque centrale doit lancer la planche à liquidité avec une politique d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing). Dans le jargon de certaines banques centrales, on l’appelle l’ « Hélicoptère monétaire » et consiste à injecter plus de liquidité dans l’économie à travers l’achat massif d’actifs publics (comme les bons assimilables au trésor BAT). Cette politique non conventionnelle semble très risquer dans le cadre de la BCEAO à cause du régime de change fixe mais aussi l’objectif principal qui est la stabilité des prix. Un autre aspect de la mise en œuvre de cette politique nécessite aussi des taux d’intérêts faibles comme le cas de la FED et la BCE avec des taux directeurs presque à zéro. Nous pensons que la BCEAO a encore une marge pour recourir à cette politique car elle a la possibilité de faire baisser ces taux directeurs (le taux d’injection de liquidité et le taux du guichet marginal respectivement 2,5 % et 4,5 %) ou celui des réserves obligatoires (3 %) pour venir en aide les banques dans l’octroi de crédit aux ménages et aux PME/PMI afin de relancer l’activité économique.
Enseignant-chercheur en
Ingénierie Economique et Financière
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