La dégradation de la note souveraine du Sénégal est au cœur de tous les débats, mobilisant chroniqueurs et observateurs de la vie politique. Si cet événement suscite des inquiétudes, il est crucial d’en analyser les causes avec lucidité. Cette dégradation n’est pas principalement imputable à la gestion actuelle du pays, mais elle est largement la conséquence de douze années de mauvaise gestion des finances publiques et du fardeau d’une « dette cachée » héritée du régime précédent. L’agence Moody’s n’a fait que consolider dans l’update de sa notation les conclusions des audits menés par le gouvernement, le FMI à travers les audits de la Cour des comptes et de cabinets spécialisés. Il faut d’ailleurs saluer le courage politique des nouvelles autorités qui ont engagé un audit transparent des comptes publics avec le FMI dès que les déséquilibres ont été constatés.
*Les conséquences tangibles d’une dégradation*
Les conséquences de cette dégradation ne sont certes pas négligeables et se manifestent par :
1. Un renchérissement du coût de la dette : Emprunter sur les marchés internationaux devient plus cher, voire temporairement inaccessible. Certes, le Sénégal se finance actuellement à travers le marché sous-régional et par des Appels Publics à l’Épargne (APE), mais cette solution a ses limites. À terme, la question se pose : le Sénégal aura-t-il vraiment besoin de retourner sur le marché des Eurobonds ? Le « souverainisme » économique prôné par le nouveau régime invite à une plus grande prudence quant à la structure de la dette et à une priorisation des financements alternatifs, qu’ils soient locaux, sous-régionaux ou issus de partenariats négociés (Chine, Qatar, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Turquie, Japon…). On observe d’ailleurs une réorientation stratégique du Sénégal vers l’Est (« Go East »).
2. Une pression accrue sur les finances : L’accès à des liquidités « fraîches » est restreint, limitant la marge de manœuvre de l’État. Ceci explique la sortie du gouvernement avec son plan de redressement, que je considère personnellement comme assez timide, certainement par souci de ne pas étouffer la modeste croissance générée par les réformes déjà mises en place. Il y a une marge de manœuvre pour plus d’ambition, et un courage politique sera nécessaire pour élargir davantage l’assiette fiscale ou rationaliser les subventions.
3. Une érosion de la confiance des investisseurs : Cette dégradation de la notation souveraine du Senegal agit comme un signal d’alarme. Cependant, le Sénégal vient d’adopter un nouveau code des investissements et un nouveau code des impôts, témoignant d’une volonté politique de rassurer les investisseurs. L’investissement direct et les partenariats public-privé doivent être privilégiés. La tenue la semaine dernière du FII Sénégal illustre parfaitement cette nouvelle politique pour financer le Projet Sénégal 2050. Pour concrétiser les 13 000 milliards de FCFA de promesses d’investissement, une partie sénégalaise forte doit émerger. Le secteur privé local est désormais interpellé. Parallèlement, il est impératif d’accélérer la récupération des biens mal acquis. Confisquer les fonds volés et les réinjecter au service du développement est une priorité absolue.
Cependant, il est fondamental de rappeler que cette dégradation n’est pas une fin en soi. Elle peut même servir de catalyseur pour explorer des voies de financement plus innovantes et diversifiées, telles que les Sukuk (obligations islamiques) et le renforcement des Appels Publics à l’Épargne sur le marché local et pouquoi pas inciter le senegalais a beaucoup plus epagner dans des fonds d’investissement patriotiques et faire naitre de nouveaux produits offres specifiques aux banques et services financiers senegalais.
Une opportunité pour rectifier le tir et inverser la tendance
L’urgence est dorénavant de finaliser un accord stratégique avec le FMI. Cet alignement est indispensable, mais il ne doit pas viser uniquement à obtenir une simple rallonge financière. La véritable opportunité réside dans une négociation axée sur la restructuration de la dette. L’objectif est d’adapter le calendrier des remboursements en l’ajustant aux revenus futurs, de plus en plus importants, provenant de nos ressources minières et gazières. Une structure de dette mieux adaptée à notre capacité de remboursement future est la clé pour que le Sénégal puisse respirer et se rétablir rapidement.
Parallèlement, pour inverser la tendance d’ici les deux à trois prochaines années, des changements plus ambitieux sont nécessaires :
1. Assainir les finances publiques en réduisant les dépenses superflues et le train de vie de l’État.
2. Élargir l’assiette fiscale pour augmenter les recettes de manière juste et efficace.
3. Optimiser la gestion des ressources pour que les revenus du pétrole et du gaz profitent pleinement au trésor public.
4. Investir massivement dans l’employabilité des jeunes surtout dans les secteurs primaires (agriculture, pêche, élevage…) et dans la transformation des produits primaires 5. Accélérer la récupération des biens mal acquis comme clé de voûte de la justice et du financement du développement.
6. Stimuler l’investissement du secteur privé sénégalais en l’encourageant à s’endetter de manière responsable pour investir dans l’économie nationale.
7. Réformer le secteur bancaire en pénalisant la surliquidité des banques qui n’est pas orientée vers le financement de l’économie réelle ; les banques doivent apprendre à prêter aux Sénégalais avec des taux acceptables.
8. Renforcer la gouvernance en consolidant certaines agences étatiques, et notamment par l’intensification de la lutte contre la corruption, et le renforcement des corps de contrôle et en appliquant des sanctions dissuasives.
Cette dégradation doit être interprétée comme un rappel à l’orthodoxie financière et une opportunité de jeter les bases d’un développement solide. Ceux qui y voient une fragilité de la gouvernance actuelle omettent que le choc a été anticipé et que des correctifs sont en cours.
Certains y voient une coïncidence troublante de cette degradation d’avec les difficultés que rencontre le Senegal avec le FMI. Mais précisément, une cause est l’absence d’un accord avec notre principal bailleur (FMI/BM) qui accroît le risque de dysfonctionnement, justifiant ainsi la décision de l’agence de notation Moody’s de degrader la naote souveraine.
Arrêtons de nous plaindre de Moody’s, qui ne fait que son « travail » avec une méthodologie qui, bien que discutable, se concentre principalement sur le point de vue de l’investisseur. Pour notre information, il est important de noter que des pays développés tels que la France et les États-Unis ont également vu leur note souveraine abaissée – à deux reprises pour la France, dont la situation politique actuelle instable pourrait même justifier une troisième dégradation dans les mois à venir. Cela prouve que cela peut arriver à n’importe qui. Alors, mettons-nous au travail !
En conclusion, même sans cette dégradation, le Sénégal aurait dû relever le défi du financement de son développement. La situation actuelle était déjà difficile et cette dégradation de notre note souveraine ne fait que rendre un problème connu de tous plus aigu. Si elle est bien gérée, cette crise ouvre la voie à une diversification des sources de financement et à une restructuration stratégique de la dette. Si les autorités mettent en œuvre des réformes courageuses et crédibles, les premiers signes de redressement forceront les agences de notation à réviser positivement leur évaluation. Le chemin est difficile, mais la trajectoire peut être renversée avec une volonté politique ferme et une adhésion de tous les acteurs nationaux.
Alioune Sonko
SG Pastef Suisse