La rumeur, tenace comme une mauvaise grippe diplomatique, d’une potentielle candidature de l’ancien président sénégalais, Macky Sall, au poste de Secrétaire Général des Nations Unies, ne laisse personne indifférent. Loin d’être une simple spéculation de couloir, cette perspective soulève une série de questions fondamentales, voire existentielles, pour l’Organisation. Si cette candidature venait à se concrétiser, elle ne serait pas seulement en décalage avec les fondements mêmes de l’ONU ; elle constituerait un affront aux aspirations démocratiques d’un peuple et un risque sérieux pour la crédibilité d’une institution censée incarner l’espoir d’un monde meilleur. Un peu comme confier la gestion d’une bibliothèque à un pyromane, l’idée a de quoi faire sourciller.
Les Critères d’Éligibilité : Un Examen de Conscience pour l’ONU
Le rôle de Secrétaire Général de l’ONU n’est pas une sinécure, ni un poste honorifique pour retraité politique en quête de reconversion. Il s’agit d’une fonction exigeant « les plus hautes qualités d’efficacité, de compétence et d’intégrité, ainsi qu’un engagement ferme envers les buts et principes de la Charte des Nations Unies ». Ces critères, loin d’être de simples formalités administratives, sont le socle moral et éthique de l’organisation. C’est à l’aune de ces exigences, aussi claires que l’eau de roche, que le bilan de Macky Sall doit être scrupuleusement examiné. Et c’est précisément là que le bât blesse, avec une élégance toute académique.
L’Intégrité à l’Épreuve des Faits : Un Bilan Humain Douloureux
La Charte des Nations Unies, ce document vénérable, est avant tout un plaidoyer pour le respect universel des droits humains et des libertés fondamentales. Or, la fin du mandat de Macky Sall au Sénégal a été, pour le dire avec un euphémisme universitaire, une période « complexe ». La répression des manifestations politiques a laissé des cicatrices indélébiles, transformant des aspirations légitimes en tragédies humaines. Entre 2021 et 2024, des dizaines de vies ont été fauchées – au moins 65 selon Amnesty International, et jusqu’à 80 d’après les nouvelles autorités sénégalaises. Derrière ces statistiques glaçantes, il y a des visages, des familles endeuillées, des communautés brisées. Des citoyens dont le seul « crime » était d’exprimer leurs opinions, parfois avec une passion qui dérangeait. Les allégations de tortures et les emprisonnements arbitraires d’opposants politiques de premier plan, dont les actuels Président Bassirou Diomaye Faye et Premier Ministre Ousmane Sonko, sont des faits qui résonnent avec une gravité particulière. Ces actes, loin de l’intégrité attendue d’un futur Secrétaire Général, contredisent l’esprit même de la Charte et la mission de protection des droits humains de l’ONU. L’ouverture d’enquêtes pour corruption et exactions par le nouveau gouvernement sénégalais ne fait qu’ajouter une couche de complexité à ce dossier déjà bien épais. On pourrait presque parler d’une ironie du sort, si la situation n’était pas si tragique.
La Démocratie, ce « Détail » Constitutionnel
La tentative de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle de 2024 fut un moment de vérité pour la démocratie sénégalaise. Une décision, il faut le souligner, courageusement invalidée par le Conseil constitutionnel sénégalais. Cet acte, perçu par beaucoup comme une manœuvre désespérée pour s’accrocher au pouvoir en violation flagrante de la loi fondamentale, est en totale opposition avec l’engagement requis envers les principes de la Charte de l’ONU, qui prône le respect de la souveraineté et des processus démocratiques des États membres. La question se pose alors, avec une acuité toute juridique : comment une personnalité ayant été contrainte par la justice de son propre pays à respecter la constitution pourrait-elle être le garant crédible de la légalité internationale et des valeurs démocratiques au sein de l’organisation mondiale ? L’humour noir voudrait que l’on y voie une forme de « formation accélérée » en respect du droit, mais le sujet est trop sérieux pour la plaisanterie.
Une Candidature Inacceptable : Les Répercussions Géopolitiques et Humaines
Au-delà des considérations juridiques, une telle candidature aurait des répercussions profondes sur le plan sociopolitique et diplomatique, tant pour le Sénégal que pour la communauté internationale. Il ne s’agit pas ici de querelles de clocher, mais bien de l’avenir de la gouvernance mondiale.
Le Peuple Sénégalais : Une Voix qui Compte
Le peuple sénégalais a récemment démontré sa résilience et sa détermination à travers une alternance politique historique, fruit d’une lutte acharnée pour la justice, la transparence et le
respect des droits humains. Une candidature de Macky Sall au poste de Secrétaire Général de l’ONU serait perçue par une large majorité de la population et par les nouvelles autorités
comme une continuité de son combat contre la démocratie. Ce serait ignorer les aspirations profondes d’une nation et risquer de légitimer un passé controversé, envoyant un message déroutant aux peuples qui, partout en Afrique et dans le monde, aspirent à la démocratie et à la bonne gouvernance. C’est un peu comme demander à un architecte de construire une maison sur des fondations fissurées : le résultat serait, au mieux, instable.
La Crédibilité du Sénégal et de ses Alliés : Un Enjeu Diplomatique Majeur
Pour le Sénégal et ses nouvelles autorités, une position ambiguë face à cette candidature serait perçue comme une trahison des principes pour lesquels ils ont lutté. Cela compromettrait gravement leur crédibilité sur la scène internationale en matière de promotion de la démocratie et des droits humains. De même, les alliés du Sénégal, s’ils soutenaient une telle démarche, se trouveraient dans une position diplomatique intenable, accusés de double standard et affaiblissant leur propre discours en faveur de la bonne gouvernance. La fermeté diplomatique est donc non seulement une question de principe, mais aussi de cohérence et de respect mutuel. La diplomatie, après tout, n’est pas qu’une affaire de poignées de main et de sourires forcés ; elle est aussi une affaire de principes inébranlables.
L’ONU : Gardienne des Principes Universels, ou Simple Bureau d’Enregistrement ?
Le Secrétaire Général est le visage de l’ONU, le symbole de son engagement envers la paix, la justice et les droits humains. Une personne dont le bilan national est entaché par des allégations de violations des droits humains et de tentatives de subversion démocratique ne peut prétendre à une telle fonction sans compromettre la légitimité et l’autorité morale de l’ONU elle-même. Sa nomination serait perçue comme un affront aux victimes des exactions et un signal négatif quant à l’engagement de l’organisation envers ses propres principes fondateurs. L’ONU ne peut se permettre de devenir un simple bureau d’enregistrement pour des candidatures qui contredisent son essence même.
Un Appel à la Lucidité et à la Responsabilité Collective
Face à ces arguments juridiques, sociopolitiques et diplomatiques irréfutables, il est impératif que le Sénégal et la communauté internationale adoptent une position de fermeté diplomatique. La supposée candidature de Macky Sall au Secrétariat Général de l’ONU ne peut être ni le projet du Sénégal, ni celui de ses alliés. Il est de notre responsabilité collective de veiller à ce que le leadership de l’ONU soit confié à une personnalité dont l’intégrité, l’engagement démocratique et le respect des droits humains sont au-dessus de tout soupçon. C’est ainsi que nous préserverons la crédibilité et l’autorité morale de cette institution essentielle pour l’avenir de l’humanité. L’histoire, après tout, a une fâcheuse tendance à se souvenir des compromissions.
Paris, le 06 /10/2025
Dr Ousmane SANÉ, Géopolitologue
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